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d’un joueur malheureux. Même dans sa cité de Carcassonne, Marcou voit la tranquillité publique sanctionner l’avènement de Raynal, et n’a pour complices immédiats de son amertume que ses dépêches. Il mande le 9 : « J’attends Théodore Raynal, le successeur que vous avez désigné pour prendre le poste que le peuple m’avait confié par acclamation. » Et comme Raynal n’est plus pressé, depuis qu’il est pourvu, et se fait attendre, Marcou, le 12, exhale dans ses derniers mots de préfet un dernier reproche : « Je ne peux consentir à accepter plus longtemps la responsabilité d’une administration dont l’autorité officielle est détruite par votre mesure. » Mais cette retraite est une révolte retardée, les élémens d’agitation survivent et Raynal en a peur. Il tient à ménager les influences locales, au point d’insister dans plusieurs dépêches pour le maintien comme sous-préfet à Narbonne d’un Narbonnais promu à cet emploi par « la commission provisoire[1]. »

Dans les Pyrénées-Orientales, cette importance des chefs locaux apparaît mieux encore. C’est le préfet impérial qui, dès le soir du 4 septembre « et pour maintenir l’ordre, » demande par télégraphe à Paris de nommer à Perpignan maire et adjoints Escarguel, Boluix et Massot, « les chefs du parti républicain ; » et, le 5 au matin, il désigne et obtient pour successeur Pierre Lefranc « à qui les masses obéissent. » Le 6, le vieux républicain s’installe pour organiser la défense. Dès le 8, il télégraphie : « L’esprit public n’est pas bon, il a été profondément corrompu depuis dix-huit ans. Le patriotisme, faible au chef-lieu, est nul dans les campagnes. » Et le 9 : « Le patriotisme ne se composant ici que de passions locales et les républicains, aussi exclusifs que l’étaient hier leurs adversaires, repoussant le concours de ceux-ci, je donne ma démission. » Les républicains en effet se combattent eux-mêmes. Escarguel est avec Lefranc et le veut suivre dans sa retraite. Boluix et Massot, qui s’adjoignent un troisième démocrate, s’établissent en « commission départementale » pour exercer tous les pouvoirs vacans. Leur accord semble se faire sur un de leurs concitoyens qu’ils nomment préfet par intérim le 10 à sept heures du matin, mais, avant quatre heures du soir, ils le déclarent « suspect à la population » et notifient au gouvernement : « Nous resterons à notre poste jusqu’à ce que vous nous

  1. Id., p. 791 à 793.