Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A huit heures du soir, la révolution de Paris est connue du public ; des bandes arborent le drapeau rouge, se portent à la préfecture et à l’hôtel de ville. Elles ne peuvent pénétrer dans la mairie que l’attitude résolue de la garde urbaine suffit à défendre ; mais, à la préfecture, elles désarment le poste et attendent, près d’envahir l’édifice, le signal des meneurs. Ceux-ci pénètrent jusqu’au préfet, se déclarent en permanence auprès de lui, l’invitent, au nom du péril qu’ils exagèrent et sous prétexte d’assurer l’ordre, à remplacer le conseil municipal par une commission, qu’ils désignent et où ils s’assurent l’omnipotence : le fonctionnaire du régime déchu leur paraît garder une autorité légitime pour les glisser, par un acte d’arbitraire, au pouvoir. Le préfet consent. Les commissaires choisis partent pour l’hôtel de ville, précédés par la rumeur qu’ils ont été choisis par Gambetta. Ce bruit, répandu peut-être afin de les rendre plus indiscutables, ne suffit pas, et au contraire, pour que la garde urbaine, de faction autour de la mairie, leur ouvre ses rangs. Elle veut connaître les noms de ceux qui prétendent remplacer les élus de la ville, exige qu’on les lui lise sur la place, les accueille par des protestations de plus en plus vives, et refuse le passage. Elle-même envoie ses délégués à la préfecture et impose une transaction qui associe aux républicains acceptés par le préfet les chefs du parti conservateur. Cette nouvelle commission s’établit à l’hôtel de ville, fait disparaître le drapeau rouge, maintient la garde urbaine et la paix des rues jusqu’au soir du 5 septembre, jour où l’un de ses membres, l’avocat Laget, républicain modéré, est nommé préfet : et celui-ci, dissolvant à la fois l’ancienne municipalité et le conseil provisoire, les fond en une commission qui maintient entre les partis un équilibre équitable et offre des garanties à l’ordre[1]. Exemple de ce que pourraient, s’ils voulaient, les honnêtes gens, aux jours de révolution.

Vaucluse n’a pas de cité si populeuse ni de centres industriels ; le désordre y a moins de partisans, mais l’ordre n’y a pas de défenseurs organisés ; et les premiers n’ont pas besoin de forces, parce que les seconds ne résistent pas. A Avignon, le conseil municipal est composé de libéraux, en majorité légitimistes, que nul ne peut soupçonner d’attachement à l’Empire. Mais le 4 septembre apporte aux républicains l’occasion de prendre le

  1. Id., p. 987 à 988.