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IV

Toulouse n’est pas une de ces villes appelées par une vocation évidente à la place où elles se sont établies, et dont la nature ait par avance préparé le destin. Toulouse n’occupe pas une position privilégiée sur les grandes voies du commerce ; elle ne s’est pas fondée près de richesses minières ou à portée de la force qui coule avec les puissantes chutes d’eau ; elle ne doit pas ses progrès et son renom au développement d’une industrie. Elle semble avoir attiré ses habitans par l’accord d’une contrée ouverte, tempérée, gaie et de leur propre caractère, comme s’ils se fussent réunis sans autre motif que l’attrait d’être ensemble où ils se trouvaient bien. Et comme ils avaient compris que le charme des jours grandit avec l’étendue de la pensée, dès l’origine y furent en honneur les sciences qui transforment la vie, les lettres qui l’ennoblissent, l’esprit qui la fait riante. Toulouse ne fut ni un comptoir, ni une fabrique, ni une banque, elle fut une société. Autour de cette société les artisans se groupèrent dans la proportion qu’il fallait pour servir ses besoins matériels, et reçurent par échange quelque chose de sa vivacité, de sa courtoisie, de sa finesse, de sa curiosité universelle, de son aptitude à fondre les sentimens particuliers en une opinion commune.

Un tel caractère ne prépare pas à l’aveuglement servile envers aucun pouvoir. Sur tous elle avait fixé la clairvoyante hardiesse de ses regards. Trop pénétrante d’intelligence pour ne pas reconnaître les vices des divers régimes, trop vibrante de nerfs pour rester impassible aux déceptions, trop douce de mœurs pour apprendre des déceptions les haines destructrices, son originalité était de former ses opinions avec mesure et de les manifester avec véhémence. Si leur force avait pour preuve leur bruit, nulle ville ne serait révolutionnaire à l’égal de cette cité qu’un rien suffit à émouvoir, et dont l’état normal semble d’être hors de soi. Mais la perpétuité de ces ardeurs prouve que, si elles trouvent leurs prétextes fugitifs dans la succession des événemens, elles ont leur cause permanente dans la nature de la population. Il y a un peuplier dont les feuilles s’agitent toujours, leur mobilité n’a pas besoin d’orages, le frisson perpétuel qui, même par les souffles les plus doux, passe sur elles et semble