Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

favori des Russes. Si primitifs que soient les restaurans, — et ils consistent parfois en une tente et une vieille caisse renversée d’huile de kérosène, qui servent de cuisine, de salle à manger et de dressoir en même temps — ils sont toujours très recherchés. D’après le même principe que pour la construction du chemin de fer, les chefs russes emploient comme garçons de cuisine des Chinois qu’ils font travailler.

Tandis que je parcourais ainsi la Mandchourie du nord, j’eus tout loisir de me faire une idée très complète de la région. Au point de vue géographique, elle est formée, pour presque la moitié, d’un plateau stérile ; plus loin, vers le sud, elle devient boisée, et autour des villes la terre est assez bien cultivée. La capitale de la Mandchourie septentrionale est Tsi-tsi-kar ; le Gouverneur de la province y a sa résidence et c’est le centre de cette partie du pays. Mais la ville est très primitive et reste bien loin des deux autres villes principales, Kirin et Moukden. Elle est habitée par une population mixte de Mandchous, de Mongols et de Bouriates. Elle n’est pas sans un certain trafic, qui porte sur les produits bruts et particulièrement les peaux de toutes sortes. Depuis des temps très reculés, les caravanes en font un lieu de passage sur leur route des provinces du sud à la province septentrionale de l’Amour, et elles s’y arrêtent. Les chariots qu’elles emploient aujourd’hui encore sont très primitifs, et j’en ai vu qui étaient tirés par seize ou dix-huit vigoureux poneys de Mongolie, quelquefois même par des bœufs. Je m’amuse de l’étrange disposition des harnais, qui est un inextricable fouillis de lanières et de cordes. Comment a-t-on pu arranger cela ? C’est un problème que seule la patience chinoise a pu résoudre.

J’ai tout loisir aussi d’étudier les coutumes locales et les mœurs populaires. Dans toute cette région déserte, où les Européens n’ont jamais pénétré avant la construction du chemin de fer, il n’est rien qui ne soit resté dans un état primitif. Les gens vivent partie de l’agriculture et partie de la pêche et de la chasse. Ils habitent dans de très pauvres maisons, que nous appellerions des huttes, bâties de briques et de boue séchée, où ils s’entassent avec leur bétail et les autres animaux domestiques. Ils se livrent avec passion à l’élevage des chevaux, et je traverse de vastes haras. Les troupeaux aussi sont nombreux ; mais l’animal que l’on rencontre le plus fréquemment est le porc. Ceux de ce pays sont très différens des nôtres ; noirs, avec un long poil