Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demander si elle n’avait pas quelque fondement dans la réalité observée. A priori, on était tenté d’y voir le souvenir, amplifié par la tradition, d’une race colossale ayant réellement existé. On retrouve en effet, dans toutes les mythologies, des légendes de géans. La mythologie grecque nous représente ces colosses, fils de la Terre, soutenant des luttes formidables contre les dieux habitans du Ciel. Le détail de ces combats est présenté de mille manières : c’est tantôt une armée de géans qui se range en bataille sous la conduite d’Alcyonée et de Porphyrion, et qui attend le choc des habitans de l’Olympe aidés par le héros Hercule. D’autres fois ce sont Otus et Ephialtes qui entassent les montagnes pour escalader le ciel, et qui lancent contre lui des roches enflammées ; mais la lutte qui renaît sans cesse finit toujours par le triomphe du maître des dieux ; et les géans, voués à une défaite inévitable, sont foudroyés par Jupiter, écrasés sous les roues de son char et finalement précipités dans le Tartare.

Les historiens et les critiques, qui veulent que toutes les légendes mythologiques aient une signification symbolique et naturelle à la fois, sont à l’aise pour expliquer celle-ci. Ils y retrouvent une image et une personnification des forces souterraines en révolte contre les lois naturelles, — les Grecs disaient divines, — qui exigent et maintiennent la solidité et la fixité du sol. Ces forces irrégulières et tumultueuses, éruptions volcaniques, tremblemens de terre, cataclysmes violens ; ces agens de destruction sortis des entrailles de la Terre et déchaînés contre l’ordre du monde, c’est-à-dire contre les dieux, ce sont les géans. Il est très remarquable que, si les poètes en ont donné des descriptions effrayantes, s’ils leur ont attribué, pour symboliser leur force, des membres multiples et des têtes horribles dont la bouche énorme vomit des torrens de flammes, les artistes grecs, au contraire, toujours épris des formes réelles, les ont représentés comme des figures purement humaines. On voit, par exemple, dans une peinture de vase très archaïque, le géant Antée renversé par Hercule et cherchant à toucher la terre avec ses mains pour y puiser une nouvelle vigueur : son corps est celui d’un homme admirablement proportionné, mais sa stature est à peu près le double de celle de Minerve qui le frappe de sa lance, ou d’Hercule qui bande contre lui son arc. Et cette taille énorme est elle-même un trait rare et exceptionnel ; les artistes renoncèrent bien vite à cette déformation significative ; de sorte que rien, dans