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parfaitement vrai, sauf en un point. Les Japonais semblent croire que le cas d’une neutralité partielle et localisée n’a pas de précédent, ce qui est une erreur ; mais nous la signalons sans y insister. Quelle a été, demandent-ils, la condition principale de l’entente ? C’est qu’aucun des deux combattans n’emploierait « dans un but de belligérance, un port chinois quelconque ou une portion quelconque du territoire chinois en dehors de la zone constituant le théâtre de la guerre, parce que cette occupation ou cet emploi convertissait ou convertirait ces ports ou ces portions en territoires belligérans. » Et cela encore est exact ; mais ce qui ne l’est plus, c’est la conclusion suivante : « La Russie a cherché à Che-fou un abri contre les attaques contre lesquelles elle ne trouvait plus de protection à Port-Arthur. En faisant cela, la Russie a violé la neutralité de la Chine, telle que la définit l’engagement signé par les belligérans, et le Japon était de plein droit justifié déconsidérer le port de Che-fou comme port belligérant en ce qui concerne l’incident du Rechitelny. Une fois l’incident du Rechitelny terminé, le port de Che-fou a recouvré sa neutralité. » Rien de plus simple ! Mais que faut-il penser de cette neutralité intermittente dont le Japon fait ce qu’il veut, et qu’il viole ou rétablit à son gré ? Une neutralité sujette à de pareils caprices n’est pas une neutralité, c’est tout simplement l’exercice du droit du plus fort. Revenons aux principes du droit des gens, ou plutôt du sens commun. La situation de la Chine, exceptionnelle si l’on veut, n’a rien qui ne puisse être clairement défini. La partie du territoire qui est livrée à la guerre obéit aux lois de la guerre, et la partie qui est neutre est soumise aux lois de la neutralité. Les navires russes avaient donc le droit de se réfugier dans les ports chinois, aussi bien que dans ceux de toute autre puissance, s’ils en avaient rencontré à proximité. La protestation des Japonais aurait été légitime si le Rechitelny, réfugié à Che-fou, y était resté armé au-delà du temps habituellement accordé aux navires qui invoquent le droit d’asile. Alors on aurait pu dire qu’il avait employé le port de Che-fou « dans un but de belligérance » et qu’il avait violé la neutralité de la Chine. Mais rien de tel n’a eu lieu. Le navire russe était loyalement désarmé, lorsque les Japonais l’ont traîtreusement assailli. Et sans nul doute la neutralité de la Chine a été violée ; mais elle l’a été par eux.

Il s’en est fallu de peu, nous l’avons dit, qu’un incident du même genre ne se reproduisit à Changhaï, où deux navires russes l’Askold et le Grossovoi s’étaient réfugiés. Forts de la théorie, ou plutôt du sophisme qu’ils ont établi, les Japonais les y auraient probablement