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La Prusse avait sur la Vistule les mêmes motifs que sur le Rhin pour souhaiter une lente infiltration du protestantisme ; sa politique religieuse, à l’Est comme à l’Ouest, n’était qu’un fragment de sa politique générale, un épisode de l’unification systématique du royaume. Frédéric-Guillaume III, en recevant la lettre de Dunin, se trouvait gêné et presque lésé, non seulement dans son désir d’apostolat protestant, mais aussi et surtout dans ses droits de souverain. Mais l’affaire de Cologne venait de prouver que les victoires de la force sur l’idée sont souvent des victoires à la Pyrrhus : la force était découronnée d’une partie de son prestige. Le roi de Prusse, à l’endroit de l’archevêque Dunin, essaya d’abord d’autres voies.

Il le fit venir à Berlin pour causer avec lui ; Dunin, en arrivant, trouva l’ordre de garder cette ville comme résidence, et la défense de remettre les pieds dans son diocèse. Droste avait été séparé de son troupeau par l’armée ; Dunin était exilé du sien par la ruse. Mais n’acceptant point l’oisive irresponsabilité que semblait lui promettre le séjour de Berlin, Dunin s’enfuit à Posen, se réinstalla au milieu de ses prêtres et de ses fidèles, maintint rigoureusement ses instructions, et parut faire violence à l’État pour que l’État lui fît violence. On vit alors l’État, désagréablement acculé, déguiser du moins la force sous l’appareil de la justice, et traduire Dunin devant un tribunal pour excitation à la révolte et désobéissance aux lois. Six mois de prison lui furent infligés ; on l’expédia dans la forteresse de Colberg ; et comme, au bout des six mois, sa conscience demeurait inviolable, il fut gardé sous clef, sans nouveau procès. Grégoire XVI le vengea, devant l’opinion chrétienne attentive, par son allocution consistoriale du 8 juillet 1839 ; et Montalembert lui écrivait : « Du sein de votre prison, comme d’un sanctuaire, vous êtes une leçon et une consolation pour toute l’Église. »

Le petit clergé d’Allemagne comprenait la leçon. Privés de leurs pasteurs, c’est vers Rome et non pas vers Berlin que l’élite morale des prêtres s’habituait à regarder. On en voyait un certain nombre, en Prusse rhénane, s’écarter du vicaire capitulaire et du chapitre de Cologne, légitimement suspectés de trahison, et en référer des intérêts de leur paroisse au chargé d’affaires du Saint-Siège à Bruxelles. Le clergé de Posnanie, unanime en sa résistance, multipliait les démarches auprès du roi, pour