Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/340

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obtenir la liberté de l’archevêque ; il ordonnait dans les églises un deuil permanent ; et, malgré les sommations royales, il aimait mieux payer amendes sur amendes que de rétablir les pompes du culte. L’orgue était devenu sans voix, et se refusait à célébrer Dieu, tant que l’archevêque serait captif.

Une province restait, où l’édit royal sur les mariages mixtes était docilement exécuté : c’était la Silésie. De ce côté, le roi de Prusse était tranquille ; le prince-évêque Sedlnitzky, le doyen du chapitre Montmarin, agissaient en bons serviteurs ; et lorsqu’en mars 1838 le chanoine Fœrster souleva devant le conseil épiscopal de Breslau la question des mariages mixtes, on l’éconduisit comme un gêneur. Mais alors, les simples prêtres élevèrent la voix : redisant à Sedlnitzky les volontés romaines, ils lui signifièrent qu’elles devaient être exécutées. A court d’argumens et de patience, l’évêque dénonçait à l’État, pour les faire punir, les ecclésiastiques les plus indiscrets. Le pasteur se tournait vers Berlin, les curés et vicaires vers Rome : il invoquait contre eux la police d’Etat ; ils souhaitèrent contre lui les sanctions de l’Eglise. Grégoire XVI, en 1839, fit parvenir à Sedlnitzky un premier bref de reproches : Sedlnitzky ne répondit point. Le nonce de Vienne intervint, par un avertissement sévère : l’évêque épilogua. Un second bref arriva, en mai 1840, réclamant de Sedlnitzky qu’il résignât sa charge : quelques semaines passèrent, et l’évêque démissionna. Avec lui, la monarchie prussienne perdait son dernier auxiliaire : elle avait pu emprisonner deux évêques récalcitrans ; mais de maintenir à son poste un évêque servile, cela était au-dessus de son pouvoir. Sedlnitzky était moralement déposé par ses ouailles, avant que, sur la sommation de Rome, il ne consentît à se déposer lui-même ; pour avoir voulu imposer une certaine façon prussienne d’être catholique, il était comme exclu du catholicisme par l’instinct des fidèles de Silésie. Au milieu de cette Allemagne catholique qui reprenait conscience d’elle-même, le comte Léopold de Sedlnitzky était comme un anachronisme vivant : dans son intelligence, d’ailleurs médiocre, les théories fébroniennes, auxquelles s’était complu le XVIIIe siècle finissant, s’étaient comme cristallisées ; la philosophie « éclairée, » partout morte, avait trouvé en lui une sorte de représentant posthume, tout prêt à sacrifier, l’un après l’autre, les usages liturgiques et disciplinaires ; il apparaissait à cette heure où l’Église allemande était grosse d’avenir,