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comme incurablement enchaîné par le passé ; et parce qu’il n’était pas avec son temps, il cessait d’être avec son Église. Vingt-deux ans durant, l’infortuné démissionnaire supporta que sa conscience fût une épave ; et puis il la fixa dans le protestantisme, en 1863, et mourut en 1871, en laissant sa fortune à des œuvres d’éducation protestante. Ainsi finira l’un des derniers prélats de cour qu’ait connus la nation allemande : la Réforme accueillera par charité, mais non pour s’en faire honneur, ce survivant attardé des clergés d’ancien régime.


XI

Deux archevêques exaltés par l’effet de leur attachement à Rome, un prince évêque déclassé par l’effet de son attachement à l’État : tel était le spectacle qu’offrait l’église de Prusse au moment où Frédéric-Guillaume IV devint roi. Le rêve d’uniformité confessionnelle, où Frédéric-Guillaume III s’était complu, avait abouti à la guerre religieuse ; Frédéric-Guillaume IV, tout au contraire, comprenait que le rétablissement de la paix religieuse devait être le premier acte d’une politique nationale. Il y avait une domination prussienne, il n’y avait pas encore une nation prussienne. Parmi les sujets que le congrès de Vienne avait attribués à la Prusse, les Westphaliens étaient les plus enclins à donner leurs cœurs à leur nouveau maître ; mais leur ferveur catholique les indisposait contre les vexations religieuses. Attachés à leurs usages provinciaux, à leur législation, à leur autonomie traditionnelle, les Rhénans gardaient un patriotisme de terroir qui n’échappait pas aux observateurs ; Gentz, en 1828, notait chez eux un reste d’enthousiasme pour l’Empire français ; le général Rochus de Rochow n’était pas seul de son avis, lorsqu’en 1830 il écrivait qu’il serait dangereux de faire garder les forteresses prussiennes par des troupes rhénanes ; et des esprits inquiets, en ces provinces, commençaient à se demander si, d’être annexés à la Belgique — royaume catholique et gouverné par un prince de race germanique — ne serait pas la meilleure destinée qui leur pût échoir. Survenant en un pareil terrain, les dissensions religieuses apportaient au particularisme un surcroît de force et de hardiesse : c’est ce qu’indiquait le démocrate Venedey, dans la brochure qu’il publiait à Paris lors des difficultés diplomatiques de 1840.