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de ces jardins, ce sont leurs puits. Chaque vallée a sa citerne, où l’eau du coteau se recueille à l’ombre de voûtes gothiques qui entretiennent la fraîcheur de la nappe précieuse. Sienne sourit et elle accueille : une inscription latine salue l’étranger qui arrive par la porte Camollia : Cor magis tibi Sena pandit, « C’est mon cœur surtout que je t’ouvre. » Et la voie qui descend au centre de la ville conduit le voyageur devant un bassin de marbre sculpté, la merveille de Sienne que le peuple a baptisée : Fonte Gaia, la Gaie Fontaine. L’antiquité y eût adoré le Génie de la Cité.

Dans cette ville singulière, tout, jusqu’aux désordres et aux folies, résulte d’un incorrigible idéalisme. Elle en offre des monumens éblouissans. Mais, à ce titre, la plus ressemblante image que Sienne ait donnée d’elle-même, c’est à coup sûr cette cathédrale inachevée dont les vestiges se dressent, au faîte de la ville, sur la plus haute des trois collines, et portent témoignage pour un chef-d’œuvre dont nul ne devait voir le plein accomplissement. La République avait résolu d’ériger à la Vierge une église colossale : la construction entière en devait durer cent ans. Il arriva de ce dessein ce qui était inévitable. Il ne reste aujourd’hui de l’entreprise abandonnée que l’ancienne cathédrale, — destinée à former dans l’ensemble projeté le bras gauche du transsept, — et cinq arches, semblables à des géans oisifs, mélancoliquement debout au bord d’un espace désert que ferme un pan de muraille grandiose. Ainsi règne sur l’acropole de Sienne la cathédrale idéale dont ces fragmens majestueux, ébauche ou ruine, nous suggèrent la vision ; ainsi plane sur la ville le souvenir d’un rêve.

Le rêve de l’âme siennoise ne s’est-il donc exprimé nulle part ? S’est-il abîmé à jamais avec Sienne elle-même, et sommes-nous réduits à en déchiffrer le secret sur le visage d’une morte ? Non. Les peintres, les sculpteurs lui ont donné la vie immortelle de l’art. La réunion de leurs ouvrages, dans la ville même où ils furent composés, devait prendre une signification et une éloquence incomparables. Malheureusement cette collection, organisée à la légère, présente de graves lacunes. La moindre recherche eût suffi à l’enrichir des trésors enfouis dans les églises des villages. Quant à l’étranger, on y a fait si peu d’appel qu’il s’est ouvert à Londres, en même temps qu’à Sienne, une Exposition de peintures siennoises, tirées des galeries anglaises. Ces