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vides sont mal comblés par un étalage d’armes, d’ornemens d’église, de documens topographiques, de poteries, de bibelots, où presque aucun objet, parmi ceux qui occupent d’autres personnes que les curieux, ne s’élève au-dessus du vulgaire.

En un mot l’Exposition eût offert peu d’attrait, si l’on n’avait eu la ressource de la loger dans les salles incomparables de ce Palais Public où s’employèrent deux siècles de grands décorateurs. Ou plutôt l’Exposition ici est partout, et c’est Sienne elle-même ; Sienne qui est, avec sa cathédrale, ses trente-deux églises, ses palais, sa riche Académie, sa Libreria, sa Biccherna, un musée vivant. Or le moment est bien choisi pour parler de l’art Siennois. Beaucoup de travaux excellens ont été consacrés à Sienne en ces dernières années. Des documens sont sortis des archives. On s’est aperçu peu à peu que l’histoire de la Renaissance n’est pas tout à fait telle qu’on l’enseignait sur la foi de ceux qui, en nous la contant, ont eu soin de l’accaparer ; que Florence s’y attribue un rôle trop éminent et s’y fait trop belle la part de l’initiative ; et que Sienne, toute voisine soit-elle, n’en est guère moins éloignée par le génie que Venise ou Cologne. Ainsi éclairée, l’œuvre des artistes siennois, que beaucoup dédaignaient, qu’on ne regardait guère, prend une valeur inattendue. Cette Exposition n’aura pas eu une médiocre utilité, si elle a servi à ramener les regards vers un art dont la gloire avait été trop complètement sacrifiée à celle de l’art florentin.


I

L’école siennoise est l’aînée des grandes écoles italiennes. Dès l’aube du XIIIe siècle, avant Florence, avant Pise elle-même, elle a des peintres. Pauvres peintres, il est vrai, pour la plupart, humbles faiseurs d’images, barbares sans être primitifs, ignorans sans avoir le privilège de l’ignorance, la grâce de la naïveté ! Le style byzantin n’est plus entre leurs mains incultes que la plus grossière routine : toutes les formes en sont raidies et pétrifiées. On trouve à l’Exposition une dizaine de leurs œuvres : ce sont des monstres. L’historien leur doit toutefois un regard de sympathie : ils ont rendu à l’art cet incomparable service de conserver l’usage de la détrempe et de la fresque, et, comme le tison sacré qui couve sous les cendres, de sauver, tandis que régnait la mosaïque, les destinées de la peinture.