Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/379

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II

Placé sur l’autel majeur de Notre-Dame, ce tableau, en effet, devait être quelque chose d’éclatant et de flamboyant, avec ses clochetons, ses gables, ses pinacles, ses surfaces ruisselantes d’or, ses gerbes de flèches d’or, elles-mêmes sculptées et fleuries d’or, et recevant, concentrant, dardant l’or des rayons qui tombaient de la coupole. Les arts étaient alors moins divisés que de nos jours : les monumens, la statuaire étaient polychromes ; le tableau participait de l’architecture, de la menuiserie, de l’art des doreurs et des orfèvres. On ne trouvait pas que ce fût trop du concours de toutes les industries humaines pour accroître le prix de l’offrande faite à la divinité. Plus tard, le goût ayant changé, le chapitre de la cathédrale remplaça le tableau hors de mode par un tabernacle de bronze. On eut la barbarie de briser le somptueux cadre gothique, et de scier le tableau lui-même, qui était peint sur les deux faces, en deux parties qu’on exposa séparément dans deux chapelles. Les gradins furent démontés, relégués dans la sacristie. Quelques pièces s’égarèrent et furent vendues à Londres et à Berlin. Il y a peu d’années que les débris ont été rassemblés à l’étage supérieur d’un musée qu’on appelle l’Œuvre du Dôme. C’est là qu’il faut aller les voir, puisque l’Exposition, — hormis une petite figure d’apôtre, de la collection Stroganof, — n’offre rien de ce grand maître, et qu’on a perdu cette occasion unique de remettre à la place d’honneur un chef-d’œuvre méconnu.

Cette ruine en effet, ainsi dépecée, est encore le monument capital de la peinture siennoise, un des plus considérables de toute la peinture italienne. Il est ici ce que sera en Flandre le retable des Van Eyck : la Bible d’une race. Ses deux faces en résument le génie sous son double aspect, et semblent les deux Testamens où l’école entière ne cessera de s’inspirer. Le revers, autrefois tourné vers le chœur de l’église, et racontant la vie du Christ, offre dans le récit tout le charme et, disons-le, tous les défauts des artistes siennois. La face qui regardait la nef fixa pour jamais, dans l’esprit des fidèles qu’elle enchanta, leur idéal de poésie et leur rêve de beauté.

Au premier regard, le revers, avec ses vingt-six scènes d’un format de miniatures, avec sa frise qui les sépare en deux