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certains de l’Exposition que d’avoir fait ressortir la grandeur de ce statuaire, dont la destinée semblait d’être à jamais incompris dans sa patrie. Sienne s’est honorée en retirant du chantier de décombres qu’est l’Œuvre du Dôme, les débris rayonnans de la Fonte Gaia, pour les restaurer, en leur ordre primitif, dans la belle loggia de son Palais Public. On a pu restituer au maître avec certitude un certain nombre de morceaux attribués à ses élèves. On a réuni les moulages du reste de son œuvre. Cet homme extraordinaire est de ceux qui font le tour d’un art, et en épuisent à eux seuls toute l’évolution. Sa première œuvre, la statue funéraire d’Ilaria del Caretto, à Lucques, est conforme aux principes de l’art du moyen âge ; sa dernière, la Madone du portail de San Petronio, à Bologne, fait déjà penser à Bernin. Mais le maître qu’il semble annoncer entre tous, dont on dirait que, quatre-vingts ans à l’avance, il vient ébaucher les chefs-d’œuvre, c’est Michel-Ange. Il en a le souffle grandiose, le naturalisme superbe qui ne consulte la nature que pour lui faire violence, la sublime tyrannie qui prétend traiter le corps humain comme une forme expressive, que l’artiste a le droit de pétrir et de remanier à sa guise. A l’exception de deux articles : la dignité héroïque du nu, et le choix des formes colossales, toute l’esthétique du Moïse et du Tombeau des Médicis se trouve, en ses traits essentiels, contenue dans l’œuvre de Jacopo.

Comment la révolution accomplie par ce grand homme dans le marbre n’eut-elle point ses conséquences ordinaires dans le tableau ? Chose étrange ! les élèves de Jacopo, les Neroccio, les Vecchietta, à la fois sculpteurs, ingénieurs, architectes et peintres, suivent en tout le nouveau style, se placent dans tous les arts au premier rang de la Renaissance, — hormis dans la peinture, où ils continuent de chanter leur cantique pieux en dialecte siennois.

L’explication en est dans un trait caractéristique de la psychologie du peuple siennois. L’art du XVe siècle, avec son air ancien et son archaïsme touchant, est ici un produit, et, si l’on veut, c’est la rançon de la dévotion siennoise. Il est difficile aujourd’hui de comprendre à quel point, avec quelle candeur, quelle humilité, quel élan Sienne a été pieuse. Ni les crimes, ni les factions et les désordres, mieux encore, non pas même les richesses et les délices n’ont pu altérer cette imperturbable piété. Sienne commet des excès horribles, se porte aux pires folies,