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VII

C’est ce qui arriva bientôt pour l’art siennois. La rêverie devient funeste, dès que manque la puissance dont elle n’était que la fleur spirituelle. Rien ne subsistait plus de l’antique gloire de Sienne : la République avait vécu ; sa fierté longtemps intraitable s’était abandonnée à la tyrannie corrompue de l’habile et lâche Pandolfo. La fortune publique touchait à la banqueroute. Dans ce monde décomposé, le vieil idéal ne pouvait plus que se flétrir. Les artistes qui s’y attachent encore, comme Benvenuto di Giovanni, sont des formalistes secs et maniérés.

Sienne devient ville ouverte aux idées étrangères. L’école ombrienne l’envahit la première. Déjà Luca Signorelli a été appelé à décorer la demeure du Magnifique. Pérugin exécute pour la famille Chigi la splendide Crucifixion de Sant’ Agostino. Mais le grand champion de la Renaissance dans Sienne, c’est ce singulier Ænéas Sylvius, pape sous le nom de Pie II, un de ces hommes à qui leur médiocrité personnelle permet de revêtir une signification générale, en reflétant sans distinction tous les aspects les plus contraires d’une grande époque. De son vivant, son influence fut nulle dans sa patrie. Mais, cinquante ans après sa mort, elle renaquit de ses cendres. Sa famille ayant résolu de le célébrer par un monument digne de lui, construisit la fameuse Librairie de la cathédrale, et chargea de la décoration le peintre des Borgia. Ce choix semble dicté miraculeusement par le défunt. Quel artiste lui eût mieux convenu que ce Bernardino Betti que sa facilité légère, brillante et superficielle fit surnommer Pintoricchio ? Ses peintures sans profondeur, d’ailleurs charmantes et vivement exécutées avec l’aide d’une foule d’élèves pris dans les ateliers de Sienne, agirent comme un prompt dissolvant sur la tradition à demi morte de l’école.

On lui voit prendre les habitudes d’un éclectisme misérable. Les ouvrages de Bernardino Fungai mêlent à l’imitation de Pérugin et de Pintoricchio des motifs empruntés aux gravures allemandes. Là-dessus arrive du Nord un artiste doué des plus vastes talens, lequel s’établit à Sienne, n’y plaît pas moins qu’il ne s’y plaît, et n’a pas de peine à donner le coup de grâce à ce qui y survivait encore d’original. Il paraît difficile de rattacher à l’école siennoise le barbare magnifique qui acheva de