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l’anéantir. Ce Giovann’ Antonio Bazzi, qui se glorifiait du sobriquet de Sodoma, apportait dans son bagage, — pêle-mêle avec sa ménagerie de singes, ses perroquets, ses écureuils et son corbeau qui parlait « comme un homme, » — les nouvelles idées prises un peu partout, à Milan, à Florence, à Rome. L’esprit bariolé d’emprunts faits indifféremment. à Léonard, à Michel-Ange et à André del Sarto, il trouvait moyen d’avoir des momens de génie. Ce fou se présenta dans Sienne beaucoup moins comme un maître que comme un corrupteur. Sienne eut la faiblesse d’encourager les fantaisies de l’homme le moins capable de régler le goût d’un public, et s’entêta pour lui d’un engoûment dont tous ses édifices portent encore la trace. A la vérité, Jean-Antoine représente à merveille le génie de la molle ville, une fois relâchée de sa vieille discipline. Des artistes qui suivirent ses exemples, les plus connus sont Girolamo del Pacchia et Giacomo Pacchiarotti, que la ressemblance des noms a fait longtemps confondre. La vie de Pacchiarotti a plus d’intérêt que ses ouvrages. C’était un Jacobin, affilié aux Bardotti, la plus redoutable des sociétés secrètes dont Sienne était alors rongée. Dévots, comme on l’était dans un temps où chacun expédiait pieusement son ennemi, les Bardotti formaient le dimanche des réunions où ils s’exerçaient aux armes et s’exaltaient par la lecture de Tite-Live, de Végèce et de Machiavel. A certaines dates, avaient lieu des représentations de quelque atrocité héroïque de l’antiquité, propre à entretenir dans leur âme l’émulation d’une si sublime valeur. Le peintre avait couvert sa chambre de fresques du même genre, et s’enivrait des discours qu’il adressait aux murs. Les Bardotti finirent par se rendre impossibles, et deux d’entre eux furent pendus. L’insolence des autres se change aussitôt en terreur, et Pacchiarotti, poursuivi jusque dans un cimetière, se jette dans une fosse fraîchement ouverte, dont il rabat sur lui la dalle. Il passa là deux jours dans la société infecte du cadavre, et finit par préférer tous les périls à l’horreur de la puanteur et de la vermine. Un édit du gouvernement promit l’impunité à qui prendrait sur soi de dépêcher ce pauvre brouillon.

En face de l’école du maître de Verceil se dresse un petit homme court, rageur, opiniâtre, Domenico Beccafumi. Il avait vu Michel-Ange à Rome et s’était juré de l’égaler. Combien d’autres se vouèrent de même à un misérable et inglorieux