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laissa dévoyer, devancer, consumer par la fièvre des combinaisons politiques, électorales, socialistes, voire anarchistes. Il va sans dire que les rivalités personnelles eurent leur éclosion dans ces endroits comme ailleurs, avec l’emportement propre aux milieux ouvriers.

Incontestable, avoué franchement par M. Deherme et par d’autres apôtres, l’insuccès provient des causes qui naissent d’elles-mêmes au sein d’associations où se mélangent les catégories, les opinions, les tendances, les habitudes trop différentes les unes des autres. Parmi ces causes, deux, sans doute, ont eu et devaient avoir un effet inévitable.

Mentionnons d’abord les lourdes difficultés produites par l’insuffisante organisation ; mais gardons-nous de l’incriminer, car elle rencontre de tels obstacles qu’on en est encore à se demander si elle comporte un remède. Évidemment, l’Université populaire a besoin d’un personnel qui l’administre et qui la dirige, qui veille à l’application de l’idée manifestée par elle. Or, il n’y a ici d’autre force et d’autre point d’appui que la bonne volonté soit chez les professeurs, soit chez les auditeurs ; et cette bonne volonté se trouve réduite à s’exercer pendant les heures de loisir, c’est-à-dire dans les conditions qui s’accordent le moins avec une activité régulière. Sans régularité, évidemment encore, nul organisme ne fonctionne, ni ne se soutient. M. Deherme, lui, s’est imposé le devoir de vivre pour l’œuvre qu’il a fondée. Pendant six années, il a passé toutes ses soirées parmi les travailleurs qu’il conviait à s’instruire, donnant l’exemple, certaines fois efficace, de la ponctualité scrupuleuse. Il a même, dans un coin de l’Université populaire, installé son logement. Il a réalisé ainsi, selon une mesure bien restreinte, mais du moins autant qu’il dépendait de lui, la permanence de la direction.

A quel point cette permanence est nécessaire, on l’a compris aussi dans un groupe voisin, constitué peu de temps après l’Université du faubourg Saint-Antoine : la Fondation Universitaire de Belleville. Là, M. Jacques Bardoux et ses amis ont pris un soin tout particulier d’établir ce qu’ils appellent l’institution des « résidens » et qu’ils ont empruntée à l’Angleterre[1]. C’est surtout, en effet, sur le sol anglais qu’ils ont choisi leur modèle. Ils avaient étudié de près l’œuvre de Toynbee-Hall, le type le plus

  1. Voyez dans la Revue du 15 octobre l’article de M. Augustin Filon : Colonies sociales et collèges ouvriers en Angleterre.