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Ce fut, dans ce temple grandiose aux voûtes majestueuses, un délire de joie dynastique. La foule entière, tout le peuple de Constantinople, grands et petits, toutes les classes confondues, semblant oublier qu’il y avait encore un basileus au Palais, acclamèrent Théodora et aussi sa sœur Zoé. Longtemps, sous les plafonds courbes à fonds d’or, retentirent les cris incessamment poussés par cette multitude : « Longue vie à Théodora, notre mère ! » On procéda au couronnement solennel devant tous les hauts dignitaires assemblés. On avait certainement placé la vieille Porphyrogénète ahurie sur l’ambon, pour qu’enveloppée de la robe à grands carreaux, solennellement couronnée du diadème par le patriarche, elle fût visible de tous ces milliers d’êtres humains dans cet édifice géant. Elle reçut ainsi l’hommage de tous les dignitaires prosternés à ses pieds. Quel peintre pourrait reproduire ces spectacles inouïs, cette plèbe byzantine enthousiasmée, tous ces hommes armés, ces prêtres en grand costume encombrant de leur foule ces espaces étincelans de mille feux, cette vieille princesse en vêtemens éclatans, effarée, point de mire de tous les yeux, ces acclamations pareilles au tonnerre qui la saluent incessamment ?

Le Calaphate fut déclaré usurpateur et par conséquent déchu. Tous ses partisans furent révoqués de leurs charges, et le sort de l’infortuné fut ainsi décidé. Théodora et cette multitude immense passèrent tout le reste de la nuit dans le temple de la Souveraine Sagesse.

Tandis qu’une partie de la foule faisait ainsi cortège à Théodora, le reste des émeutiers continuait à donner furieusement assaut au Palais Sacré défendu avec la rage du désespoir. Du haut du Kathisma, d’où tant de fois ses prédécesseurs avaient donné le signal des j’eux ou fièrement bravé l’émeute, en face de ces milliers de révoltés couvrant la vaste enceinte, assourdissant de leurs vociférations incessantes les oiseaux du ciel, le Calaphate, escorté du nobilissime et de tous les siens, pâle, hagard, s’attendant à chaque instant à être massacré, poussant en avant la vieille Zoé docile, la désignait désespérément aux assaillans qui lui répondaient par des huées. Vainement s’efforçait-il de les haranguer. Vainement leur criait-il que la basilissa Zoé était déjà restaurée sur son trône, et qu’il serait répondu favorablement à toutes les demandes populaires. Il ne parvenait pas à obtenir une seconde de silence. Tous d’en bas lui