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qu’il ne s’est connu lui-même, nous affirme que le fond de son âme est déjà tout païen. Jusque dans son Secret, ne met-il pas dans la bouche de son interlocuteur saint Augustin des citations de Sénèque et des Tusculanes ? Et ne recommande-t-il pas expressément, dans un autre de ses écrits, la lecture et l’étude des moralistes anciens ? Non, il n’a décidément plus dans le dogme chrétien la confiance sereine des fidèles du moyen âge ! « Plus d’une fois, il se laisse aller à se figurer la mort comme semblable à un sommeil. Plus d’une fois, il se demande avec angoisse : quand nous aurons fini d’exister sur cette terre, qu’arrivera-t-il de nous ? A quoi il ajoute tristement : ô grande et mystérieuse question, et pourtant si négligée des hommes ! Et un jour, dans l’effusion de l’amitié, écrivant à son cher Luigi de Campine, il ne se retient pas de dire que : de savoir si la mort est un bien ou un mal, c’est chose très incertaine, et connue de Dieu seul. »

De tout cela résulte, suivant M. Segrè, que l’auteur des dialogues sur le Mépris du Monde, non seulement n’a pas une âme aussi chrétienne que celle de saint Augustin, — ce que lui-même aurait bien volontiers reconnu, — mais encore qu’en réalité son âme n’est plus guère chrétienne, « l’humanisme l’ayant déjà entraînée dans ses ondes. » Et à ces preuves directes le critique italien en adjoint une autre, qui lui paraît non moins convaincante. « Saint Augustin, nous dit-il, étant chrétien, s’est guéri de ses passions dès qu’il s’en est repenti : Pétrarque, tout en se repentant des siennes, ne s’en est jamais guéri. » Après quoi M. Segrè se met en devoir d’établir qu’effectivement le poète a gardé jusqu’au terme de sa vie les trois vices dont il s’accusait, à trente-neuf ans, dans sa confession : l’amour de la gloire, l’amour de l’argent, et l’amour des femmes. Sur ce dernier point, cependant, Pétrarque affirme à plusieurs reprises que, dès l’âge de quarante ans, il s’est complètement corrigé : mais M. Segré ne parvient pas à croire « qu’il ait été sincère dans cette affirmation. » Et d’ailleurs, en tout cas, « la victoire du poète sur lui-même n’a pas été complète et décisive : car si même il n’a plus péché par des rechutes matérielles, il a dû le faire certainement par des rechutes morales. » Et, pareillement, on doit reconnaître que ni l’ambition de Pétrarque, ni son goût de luxe ne sont demeurés, dans sa vieillesse, aussi passionnés qu’aux premiers temps de sa vie : mais, là encore, sa victoire n’a pas été « complète ni décisive. » D’où M. Segrè, au lieu d’en déduire simplement que ce grand poète n’était pas un saint, déduit, une fois de plus, qu’il n’avait point l’âme d’un véritable chrétien. Et voici en quels termes il achève son curieux parallèle :