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qu’à l’automne, tandis que son voyage était décidé depuis le printemps ? « Dans une lettre à Barbato de Sulmone, peu de temps après, il s’excusait de ce retard en alléguant son infirmité native d’atermoiement : mais ni à son ami, ni peut-être à soi-même, il n’avouait la véritable cause d’un tel atermoiement. Le fait est qu’il allait au jubilé comme y allaient beaucoup d’autres, mais pourtant avec ce manque d’enthousiasme avec lequel il entreprenait toute chose, et d’où dérivait la tendance interrogatrice, critique, sceptique, toute moderne, de son esprit. Il obéissait à l’appel de cette solennité parce qu’elle répondait à une aspiration inquiète de son moi ; mais, tout en y obéissant, il n’apportait pas avec soi cette pleine confiance dans le remède qui, pour les maladies de l’âme, est l’élément principal de l’efficacité du remède. Autre symptôme décisif de la tiédeur religieuse de Pétrarque : arrivé à Rome vers la fin d’octobre, il en est déjà reparti dès les premiers jours de décembre. Encore, durant les quelques semaines de son séjour, ne s’est-il pas laissé complètement absorber par la dévotion. C’est en effet pendant ce séjour que, pour distraire sa solitude, il a écrit sa charmante épitre latine à Varron, où il déplore la disparition de mille beaux ouvrages anciens. Cela ne suffit-il pas à prouver que le pèlerin « se tenait à part de la foule de ses compagnons de pèlerinage, masse imbécile qui ne parlait que de prodiges, de reliques, et de visions ? » En vérité, nous dit M. Segrè, « cet homme qui s’adresse à Varron comme à un vivant, pendant que défile en psalmodiant la troupe des pèlerins, c’est déjà toute une révolution, c’est la protestation tacite mais inflexible des temps nouveaux ; c’est un chrétien qui, le premier, découvre que le principe de la dignité humaine réside dans la civilisation, dans les pénibles conquêtes de l’esprit, et non plus dans l’acquiescement docile à une autorité inscrutable. » Et comment ne pas citer encore ce passage :


C’est pourtant chose certaine que Pétrarque, tout comme les autres pèlerins, a visité un à un les temples et les autels indiqués dans le programme du pèlerinage. Mais de quelle façon les a-t-il visités ? Avec quels sentimens ? Lui-même nous l’apprend dans sa réponse à Marco Barbato, qui regrette de n’être pas venu le rencontrer à Rome pendant le jubilé. Il répond à son ami que, au fond, il doit plutôt se réjouir de ce que cette rencontre n’ait pas eu lieu, parce que, dit-il, « si nous avions été ensemble, notre curiosité de poètes aurait risqué de nous entraîner par les rues de la ville, au lieu d’aller faire nos dévotions d’église en église. » Il était donc bien mince, le fil qui rattachait Pétrarque aux pratiques de cette religion pour laquelle, seule, il avait accompli un si long voyage ? Et c’eût donc été