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assez de la présence du savant Barbato pour amener le poète sinon à oublier tout à fait ces pratiques, du moins à les négliger en grande partie ?


Enfin M. Segrè se demande de quel profit a été pour Pétrarque son pieux pèlerinage. A en croire Pétrarque lui-même, le profit aurait été considérable ; et maintes fois, depuis lors, le poète a pris soin d’affirmer que « le jubilé l’a fortifié dans son horreur pour la peste des passions mondaines. » Mais M. Segrè nous avertit que « c’est encore là une de ces affirmations qu’il faisait au moins autant pour se convaincre lui-même, que pour convaincre les autres. » En réalité, Pétrarque, après comme avant le jubilé de 1350, a subi des tentations, commis des fautes, cédé à la faiblesse de son humanité : que nous faudrait-il donc de plus, pour nous prouver que l’âme du poète ne tenait plus que par un « fil bien mince » à une religion qui, malgré toutes les fatigues que lui avait coûtées son pèlerinage, n’avait pas eu le pouvoir de le transformer, brusquement et définitivement, en un saint ?

Mais au reste j’imagine que les saints eux-mêmes, si on leur appliquait les procédés d’interprétation psychologique de M. Segrè, finiraient par nous apparaître d’assez pauvres chrétiens. L’incrédulité des Saints, quel amusant ouvrage on pourrait écrire là, dans le genre de ceux que l’on nous a offerts sur « le classicisme des romantiques, » ou encore sur le « romantisme des classiques » ! Non pas, certes, que l’auteur du Triomphe de l’Amour ait été un saint, comme l’a été, par exemple, son frère Gérard dans sa chartreuse de Montrieu. Mais de tous les faits allégués par le critique italien pour le convaincre de tiédeur en matière religieuse, je n’en vois pas un seul qui n’ait de quoi s’expliquer le mieux du monde dans l’hypothèse d’un Pétrarque sincèrement, profondément croyant. Parce que le poète, tout en se repentant de ses défauts, ne s’en corrige pas aussitôt et pour toujours, parce qu’il ne vénère pas sans réserve les papes de son temps, — à qui d’ailleurs il reproche surtout de n’être pas des Italiens, et d’habiter Avignon, — parce que, dans ses écrits religieux, il cite volontiers des moralistes païens, parce qu’il se demande ce que son âme deviendra, après sa mort, et affirme que « Dieu seul sait si la mort est un bien ou un mal, » parce qu’enfin sa « confession » diffère des Confessions de saint Augustin, devons-nous nécessairement le tenir pour un incrédule, surtout quand M. Segrè lui-même reconnaît, d’autre part, que « jamais l’ombre d’un doute ne semble l’avoir effleuré ? » Et quant à ce qui est de son pèlerinage, je jurerais que, parmi le million de