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combat des révolutionnaires fut une victoire. La victoire est aussi une épreuve. Ils ne se montraient pas occupés d’organiser leur parti, ni de préciser leur programme. Elle les surprenait, et ils ne se sentirent pas en demeure de continuer leur agitation contre l’Empire et pour la République, sans prévoir comment ils en finiront avec l’Empire, ni quel régime doit être cette République. Soit qu’ils ménagent l’incapacité de leur parti, soit qu’ils aient conscience de leurs propres inaptitudes, ils n’ont qu’à maintenir les esprits en agitation. Tout ce qui exige de la réflexion, du temps, du silence, leur est étranger. Sans combiner de loin des plans, ils attendent le hasard favorable. Ils comptent, pour deviner le moment, sur la promptitude naturelle de la foule, et, pour le mettre à profit, sur une génération spontanée d’idées et d’actions opportunes.

La guerre leur apporta ce qu’ils attendaient. Dès le 7 août, le lendemain de Wœrth, Marseille, la première en France, tenta une émeute. La foule s’amassa devant la Préfecture pour demander des armes. Comme le Préfet n’avait pu donner que des promesses, il fut facile d’irriter le patriotisme déçu, et, le 8, une multitude plus nombreuse encore fut poussée à l’Hôtel de Ville, sous prétexte d’y réclamer ces armes par une pétition. Bâtie au centre du quartier populaire, flanquée de rues étroites, sans entours libres, sinon la petite place Villeneuve, la mairie élève sur le vieux port sa façade nue : seul ornement de l’édifice, les deux hercules dont Puget sculpta le marbre, et qui soutiennent le balcon, semblent une image de ces portefaix qui, sur leurs robustes épaules, portent la fortune de la ville. Ce sont leurs pareils qui, le 8, se pressent autour de l’édifice, l’envahissent et instituent un comité révolutionnaire. Parmi eux, on eût vainement cherché les véritables meneurs. S’ils jugeaient utile de tâter le gouvernement, ils n’espéraient pas le vaincre en cette première rencontre, et jugeaient superflu de s’exposer. Mais la Révolution n’a pas seulement ses chefs, elle a ses dupes. Si les habiles ne se risquent guère que là où il y a des succès à recueillir, partout où il y a un rôle à jouer se hasardent les vaniteux, qu’on mènerait tout droit à la Roche Tarpéienne, en leur montrant le Capitole. Gaston Crémieux était de ceux-là. Beau, jeune, riche, disert et juif, il se croyait un autre Lassalle. Il n’avait de son coreligionnaire allemand que le goût de voir sur les visages l’empire exercé par sa parole, d’entendre son nom