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d’ordinaire un développement moindre dans d’autres organes liés au premier. Il en résulte : une seconde conséquence, certaines supériorités, acquises sur un point, entraînent, par compensation, certaines infériorités sur d’autres points. On peut même dire que tout progrès d’une partie entraîne quelques rétrogradations d’autres parties. Celles-ci, moins nourries et moins exercées, tendent à s’atrophier par le manque d’usage, comme s’atrophient les yeux chez les animaux qui, vivant dans une complète obscurité, y acquièrent une ouïe très fine, mais perdent en revanche la vision. Les êtres les mieux appropriés à leur milieu peuvent ne l’être que par des attributs tout relatifs (qui constituent parfois, en eux-mêmes, de réelles infériorités de structure) ; la sélection naturelle fait alors payer l’adaptation au milieu par un affaiblissement des organes inutiles, alors même que ces organes, au fond, constitueraient des perfections intrinsèques. Il est des milieux où l’animal ne peut vivre qu’en réduisant ses besoins, ses ambitions, son activité, qu’en s’appauvrissant et en redescendant plus ou moins vers une existence végétative. C’est que les supériorités intimes de constitution, dans un tel milieu, deviennent des infériorités externes d’adaptation.

Voici donc la loi générale que la science naturelle doit poser. La complexité organique diminue dans tout milieu où l’existence est trop simplifiée ; avec elle diminue aussi la complexité des jouissances, leur variété et même leur intensité. La perfection interne exige des conditions de milieu qui la rendent possible et durable ; si ces conditions n’existent pas, s’il n’y a point adaptation de la perfection interne au milieu externe, cette même perfection peut constituer une imperfection d’adaptation. Dès lors, de deux choses l’une : ou l’être se soumet le milieu, ou c’est le milieu qui le soumet, en le forçant à rétrograder vers un type de vie inférieur. Dans ce même milieu, il rencontre les autres êtres qui luttent pour l’existence ; ou l’être, plus parfait intrinsèquement, l’est assez pour l’emporter sur eux, soit par la force physique, soit par une meilleure adaptation au dehors ; ou il ne l’est pas assez, et, dans ce cas, la sélection tend à se faire contre lui, non pour lui. Elle favorise des êtres moins parfaits dans l’ensemble, mais ayant plus de force physique ; elle favorise même des êtres physiquement faibles, mais qui doivent à leur faiblesse, à l’infériorité de leur organisme, à la médiocrité de leurs besoins, une facilité plus grande