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n’est pas plus sûre que les autres. Si les économistes de l’ancienne école s’extasient encore devant les beautés de la concurrence, il n’en est pas de même pour ceux de la nouvelle, et encore bien moins pour les réformateurs sociaux. Écoutez ces derniers, ils vous diront que, loin d’être un procédé de sélection infaillible, comme le prétendent les darwinistes purs, la concurrence économique produit souvent des sélections à rebours et des régressions. La concurrence a pour unique règle la fameuse loi de l’offre et de la demande, qui ne fait que constater un rapport, numérique et brut, entre le désir d’un objet chez les uns, et le désir de travailler pour vivre, chez les autres. Que beaucoup de bras s’offrent, la main-d’œuvre baissera de valeur, sans qu’il y ait là aucune faute ou infériorité intrinsèque de la part des travailleurs. Que tels objets surabondent ou que la concurrence de pays étrangers, grâce aux nouveaux moyens de transport, avilisse la main-d’œuvre nationale, il n’y aura encore là aucune infériorité intrinsèque du côté des travailleurs, qui cependant en subiront les conséquences.

Pourquoi la sélection économique produit-elle si souvent de lamentables résultats ? Précisément parce qu’elle a conservé la forme de la lutte. Si les campagnes se dépeuplent, c’est parce que la concurrence y devient trop active et les profits trop maigres. Si les villes se peuplent, aux dépens de la santé et de la moralité publiques, c’est que la concurrence industrielle y promet trop d’avantages. Cette vie de lutte dans une atmosphère viciée, produit la stérilisation et l’élimination finales des élémens supérieurs. Ici encore, même adoucie, la guerre aboutit à une sorte de lèse-humanité. De la lutte sort le mal, non le bien. À toutes ces sélections détériorantes, la société oppose la « sélection légale, » qui seule fait expressément intervenir l’idée d’utilité commune et de justice, qui, seule aussi, s’exerce d’une façon consciente. Or, celle-là est aussi bienfaisante que nécessaire, dans les limites du moins où elle est rationnellement exercée, c’est-à-dire dégagée de tout élément de lutte et de combat. Partout, c’est l’élément égoïste et hostile à autrui, avec la ruse et la violence pour moyens, qui produit une sélection détériorante. Voilà la vraie leçon du darwinisme.

L’évolution, cette nouvelle divinité que l’on invoque sans cesse, n’est nullement, par elle-même et par elle seule, un progrès : elle peut seulement et doit, parmi ses effets, contenir des