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plafond, il fallut creuser le sol pour faire tenir son lit à « pavillon. » Parmi les courtisans, plusieurs des principaux, obligés par leurs charges d’avoir table ouverte, menaient avec eux un personnel et un matériel de cabaret ambulant. D’autres voulaient se faire remarquer par la « galanterie » de leur équipage ; celui de Lauzun avait été extrêmement admiré, à sa sortie de Paris : « Il tenait toute la rue Saint-Honoré, écrit Mademoiselle qui l’avait croisé par hasard ; il était très beau et magnifique. » Les gens modestes emportaient tout au moins un lit de camp, sous peine de coucher par terre pendant tout le voyage.

On se représente le train de chariots, fourgons et chevaux ou mulets de bât qui se déroula sur la route de Flandre, en 1670 ; la difficulté de faire arriver le soir à chacun ses bagages, quand la couchée s’éparpillait sur une ville entière ou sur un archipel de villages : les accidens de toutes sortes qui attendaient la caravane, dans des chemins presque toujours effroyables et au passage de rivières presque toujours sans ponts ; l’affairement des uns, l’impatience des autres et le désordre universel ; l’angoisse d’avoir perdu ses cuisiniers, si l’on était Marie-Thérèse, la désolation de ne plus retrouver son rouge et sa poudre, si l’on était Monsieur ou quelque jolie femme ; enfin, l’épreuve où étaient mis les caractères, et l’espèce de gloire assurée à qui gardait sa bonne humeur, au travers de fatigues souvent excessives et de contretemps perpétuels.

Louis XIV était bon voyageur, s’arrangeait de tout et exigeait que l’on en fît autant ; il détestait les gémissemens, les femmes qui ont peur et celles qui tiennent à coucher dans un lit. La reine Marie-Thérèse commençait à gémir, avant d’être montée en voiture, et c’était une nouvelle publique que de l’avoir vue de bonne humeur pendant un voyage. Les soupers de famine et les nuits passées en carrosse, à attendre un chariot qui s’était trompé de chemin, lui paraissaient d’effroyables calamités. Les mauvaises routes la faisaient pleurer, et elle jetait les hauts cris en traversant les gués ; on la trouva une fois, tout en larmes, arrêtée en rase campagne et refusant obstinément d’avancer ou de reculer. Ses peines étaient sans compensation, car elle n’avait pas de curiosité. Les conférences dont le Roi régalait les dames, tout le long du chemin, sur la tactique et les fortifications, ennuyaient mortellement lu pauvre Reine, et elle ne savait même pas le cacher. A dire le vrai, de toutes ces femmes qui