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mariages inégaux, et de lui permettre d’être heureuse. L’opinion des contemporains fut que Lauzun avait pris les devans. Le chargé d’affaires d’Espagne écrivait de Paris le 21 décembre : « Il est certain, à ce que l’on dit, qu’il en est venu là avec l’autorisation et la permission du Roi[1]. » La voix publique, dont les nouvellistes du temps nous ont conservé l’écho, ajoutait que Mme de Montespan avait été très mêlée à toute cette affaire, version que confirment deux de ses lettres à Lauzun[2], et qu’elle avait enlevé le consentement du Roi en lui disant : « Hé ! Sire, laissez-le faire, il a assez de mérite pour cela[3]. » Il y avait entre elle et Lauzun quelque chose que l’on ne sait pas, et qui les rapprochait toujours, quelque mal qu’ils se fussent fait.

Le Roi avait répondu à Mademoiselle, sans dire ni oui ni non, que sa lettre l’avait étonné, et qu’il lui demandait d’y mieux penser. Il lui redonna le même avis, trois jours après, dans un tête-à-tête qui eut lieu entre deux portes et à deux heures du matin : « Je ne vous le conseille pas ; je ne vous le défends point ; mais je vous prie d’y songer. » Il ajouta que l’on commençait à en parler et que bien des gens n’aimaient pas M. de Lauzun : « Prenez là-dessus vos mesures. » Ils firent leur profit de l’avertissement. Le lundi, 15 décembre 1670, dans l’après-midi, les ducs de Montausier et de Créquy, le maréchal d’Albret et le marquis de Guitry se présentèrent ensemble devant Louis XIV et lui demandèrent la main de Mademoiselle pour M. de Lauzun, « comme députés, pour ainsi dire, de la noblesse de France, qui recevrait à grand honneur et à grande grâce, que le Roi voulût permettre qu’un simple gentilhomme qualifié épousât une princesse de ce rang[4]. » Cette démarche était une idée de Lauzun. Elle réussit auprès du Roi, et, après qu’il eut été remercié au nom de toute la noblesse de son royaume, Mademoiselle, qui faisait semblant d’écouter un sermon derrière la Reine, fut avertie que M. de Montausier la demandait. Il lui conta le bon accueil qu’ils avaient reçu et finit en ces termes : « Voilà une affaire faite ; mais je vous conseille de la laisser le

  1. Don Miguel de Iturrieta à don Diego de la Torre (Archives de la Bastille).
  2. Madame de Montespan et Louis XIV, par P. Clément, p. 218.
  3. Histoire, etc. (Bibl. Sainte-Geneviève, Ms. 3 208). La même version se retrouve, avec de légères variantes, dans le Perroquet, etc.
  4. Mémoires de La Fare.