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moins traîner que vous pourrez, et si vous me croyez, vous vous marierez cette nuit. » — « Je trouvai qu’il avait raison, ajoute Mademoiselle, et je le priai de le dire à M. de Lauzun, s’il le voyait avant moi. »


IV

Il n’y a pas de meilleure leçon d’histoire que l’émoi de toute la France en apprenant que la duchesse de Montpensier, petite fille d’Henri IV, épousait le comte de Lauzun, « simple gentilhomme qualifié. » Un mariage de ce genre, à moins qu’il ne s’agisse de l’héritier du trône, n’est aujourd’hui qu’une simple nouvelle mondaine, même dans les pays restés de sentiment monarchique. Au XVIIe siècle, c’était une telle atteinte à la hiérarchie sociale, sur laquelle tout reposait, que Mademoiselle parut avoir manqué gravement à son devoir de princesse en brouillant ainsi les rangs, Louis XIV à son devoir de roi en ne s’y opposant point. On leur en voulut d’autant plus que les mœurs, encouragées par d’illustres exemples, offraient aux amans séparés par la naissance un moyen facile de concilier leur bonheur privé avec l’ordre public. Les « mariages de conscience » avaient été inventés pour ces sortes de cas : pourquoi ne pas s’y tenir ? Paris cherchait la réponse, et il avait pris cet air bourdonnant et affairé que n’oublièrent jamais ceux qui en avaient été les témoins et qui faisait écrire à Mme de Sévigné au bout de dix ans, lorsque l’affaire des poisons éclata : — « Il y a deux jours que l’on est assez comme le jour de Mademoiselle et de M. de Lauzun : on est dans une agitation, on envoie aux nouvelles, on va dans les maisons pour en apprendre, on est curieux[1]. »

Les princes et princesses du sang se jugèrent outragés et se rebellèrent, événement si en dehors de toutes les prévisions, avec leurs habitudes de soumission passive, que Louis XIV ne laissa pas d’en être ému. La timide Marie-Thérèse donna l’exemple. Mademoiselle était allée lui annoncer son mariage. « Je désapprouve fort cela, ma cousine, fit la Reine d’un ton fort aigre, et le Roi ne l’approuvera jamais. » — « Il l’approuve, Madame, et c’est chose résolue. » — « Vous feriez bien mieux de ne vous marier jamais et de garder votre bien pour mon fils d’Anjou[2]. »

  1. Lettre du 26 janvier 1680.
  2. Second fils de Louis XIV, mort en bas âge.