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professionnelle sérieuse et la création d’un personnel maritime à la hauteur de sa tâche.

Quant aux ouvriers des ports, il y aurait peu de chose à dire d’eux, s’ils n’avaient une organisation particulière aux corps de métiers russes. Comme la plupart des ouvriers de Russie, ils sont organisés en « artels, » associations de travailleurs, égaux en droits, solidairement responsables, dont chacun apporte, comme unique part sociale, son travail. Les bénéfices sont partagés entre les membres de l’artel ; un capital social est formé par des versemens et des réserves et sert à l’acquisition des instrumens de travail ; la direction est remise à des « anciens, » nommés à l’élection. Ainsi sont organisés les ouvriers qui s’occupent du chargement et du déchargement des navires, de la manipulation des marchandises et même des opérations de douane. Cette organisation donne aux ouvriers une grande cohésion, une force véritable, et il n’est pas téméraire d’attribuer à cette cause l’exceptionnelle gravité des grèves qui ont éclaté l’année dernière dans les ports de la Mer-Noire. Les grèves, en effet, ont cessé d’être le privilège des pays d’Occident ; elles se sont étendues à la Russie, où elles prennent un caractère révolutionnaire plus marqué que partout ailleurs. Odessa a été, l’été dernier, le théâtre d’une terrible grève générale, à laquelle ont pris part ce qu’on appellerait chez nous les inscrits maritimes et les dockers. Ce fut, en plus violent, l’exacte répétition des événemens qui se sont produits à deux ou trois reprises à Marseille, le Havre, Dunkerque et Bordeaux.

Le signal fut donné par les portefaix, débardeurs et autres ouvriers du port, qui réclamaient l’augmentation des salaires et la diminution des heures de travail. Ils furent suivis par les marins et chauffeurs. La Compagnie russe dut interrompre ses services jusqu’à l’arrivée de 500 marins de l’État, envoyés de Sébastopol. Grâce à ce secours, elle put rétablir, après deux jours d’interruption, ses services les plus urgens sur la Crimée et les ports russes de la Mer-Noire. Pendant quelques jours, on craignit pour la sécurité des établissemens, usines, magasins, entrepôts d’Odessa, appartenant, pour la plupart, à des étrangers. Enfin l’ordre put être rétabli et le travail repris. Nous ignorons la mesure exacte dans laquelle les armateurs ont dû céder aux ouvriers ; mais il est hors de doute qu’ils ont donné satisfaction à ceux-ci sur un grand nombre de points. Simultanément, et