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religions se souciaient, avant tout, de discerner, dans un lointain passé, une sorte de fonds commun où se serait alimentée la religiosité des diverses races ; et, sans qu’ils le voulussent, le résultat de leurs fouilles à travers les multiples alluvions des urnes devenait un hommage à ce que Bossuet appelle « la suite de la religion. » Creuzer, dans sa Symbolique, expliquait les mythes grecs comme de beaux et poétiques symboles, plus tard incompris, d’une philosophie primitive qui faisait honneur à l’enfance des peuples. Par-delà les épopées homériques, il reconstituait un grand âge théologique, durant lequel « la Grèce avait failli devenir un pays sacerdotal, avec une religion profonde, des symboles vénérés, des institutions hiérarchiques, et un fonds de monothéisme venu de l’Orient. » Il dessinait ainsi une sorte de préhistoire religieuse, au cours de laquelle Dieu avait exercé la maîtrise du ciel, un corps de prêtres celle de la terre ; et, par-delà les origines accessibles de la pensée religieuse grecque, il entrevoyait des lueurs orientales. Son admiration pour les mythes païens n’avait en son essence rien d’antichrétien : les Pères de l’Eglise élevés en Orient, Origène par exemple, ou bien Grégoire de Nazianze, n’ont-ils pas donné l’exemple d’une sorte de tendresse pour les poétiques égaremens de l’âme antique, tendresse où se mêlaient l’esprit de finesse et l’esprit de charité ? Aussi, n’est-ce point parmi les chrétiens, mais parmi les survivans du rationalisme antérieur, que la méthode et les conclusions de Creuzer soulevèrent des anxiétés : Voss fit un livre contre la Symbolique, comme il avait fait une brochure contre la conversion de Stolberg à l’Eglise. La Symbolique passa pour une apologie déguisée du sacerdoce et de la théocratie, et Creuzer, tout protestant qu’il fût, pour un agent masqué des Jésuites.

Or Goerres mythologue se rattachait à la même école. L’Histoire des mythes du monde asiatique, qu’il publia en 1810, fit éprouver à Creuzer une sorte d’enthousiasme ; l’auteur de la Symbolique aimait à suivre, dans le livre de Goerres, les exodes du mythe, « cette lumière venue d’Orient, et qui, toute resplendissante, émigrait dans le monde occidental de l’Europe. » La science de l’époque, au lendemain de cet ouvrage, saluait en Goerres un de ses maîtres ; et, d’autre part, ces études mêmes, sur lesquelles était assise à jamais sa réputation de savant, achevaient de détruire en son esprit les derniers vestiges des idées philosophiques d’antan. Goerres avait dit adieu, pour toujours,