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égalité ; ils en ont, après nous et d’après nous, reconnu la féconde vérité, et les ont traduits en des applications plus ou moins rigoureuses. Partout où la Constitution est fédérale, de fait ou de nom, cette unité n’existe qu’en vertu d’un pacte rendu public et d’un accord conclu sur des points déterminés. En Allemagne, en Autriche, en Suède et Norvège, en Suisse, aux États-Unis d’Amérique, les fondemens essentiels du droit, les lois d’un intérêt général indiscutable ont seuls ce caractère d’obligation commune et sont ramenés à l’unité. L’Allemagne, qui poursuit avec persévérance l’œuvre de son unification, ne possède un code civil applicable à tout l’Empire, que depuis peu d’années ; de même qu’entre les cantons Suisses, les lois fiscales, religieuses, électorales y diffèrent encore entre les États. Sur l’autre rive de l’Atlantique, la République américaine offre un spectacle analogue, et l’on sait comment les citoyens de New-York ou ceux de New-Jersey ont pris coutume de se réclamer de la législation civile de l’un ou l’autre de ces États, pour y régler, au mieux de leurs intérêts ou de leurs passions, leurs dissentimens matrimoniaux.

L’unité de langue, enfin, est l’un des facteurs essentiels de l’unité de la nation. C’est elle qui permet à tous les autres élémens de prendre corps dans une forme également accessible à tous les citoyens ; elle est le véhicule des idées, l’expression du génie national qu’elle suit dans ses transformations et sur lequel elle se moule. Parfois, au sein même de cette unité, subsistent, en témoins de l’histoire et comme pour la confirmer, les idiomes, les patois, les dialectes. Un État, affermi dans les autres organes de son unité, n’a pas à redouter ces manifestations de la vie locale dont la saveur est si pénétrante à qui sait la goûter. La langue nationale doit être enseignée, comprise ; mais il importe peu à notre vieille unité française qu’un berger de Provence aime à se griser des rythmes ensoleillés de la langue d’oc, ou qu’un pêcheur de Léon attende de son recteur un prône en celte sur la vie future. M. Mistral chante-t-il en provençal par esprit séparatiste ? et les mobiles bretons demandaient-ils en tombant sous les murs de Paris ou dans les plaines de Beauce si l’Armorique seule réclamait leur sang ?

Mais, lorsque l’unité nationale se heurte dans son essor à des conflits de race, à des antagonismes traditionnels, lorsqu’elle est mal assurée, lorsqu’elle ne fait que s’essayer, et lorsqu’elle ne