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partis radicaux et socialistes (4 250 000), et la totalité des candidats élus ou non des partis modérés (4 170 000). Ce n’est donc pas la moitié plus un des électeurs français qui, par les décisions de la Chambre, impose sa volonté à la moitié moins un, ce qui pourrait déjà être une forme de despotisme politique et ce qui ne suffirait pas à justifier l’asservissement de la moitié de la nation ; mais c’est bien effectivement et irréfutablement un quart des électeurs qui fait la loi aux trois autres quarts, ce sont les représentans de 2 626 000 Français qui régentent 8 361 500 de leurs concitoyens. Il ne nous est donc même pas nécessaire de faire état de l’armée des 600 000 fonctionnaires, tous électeurs, qui peuvent être comme une masse de réserve dans la bataille électorale, ni de rappeler les pratiques trop connues de la candidature officielle. Peut-on dire, dans de telles conditions, que les soutiens de la politique de l’unité morale soient très fermement établis ? Leur chef peut-il, en leur nom, invoquer en toute sincérité et « leur droit et leur force ? » Cette force, « légalement classée » de la sorte, donne-t-elle à leur droit des fondemens suffisans, pour qu’il soit admis à s’exercer par la contrainte et pour qu’en face de lui aucun autre droit ne puisse s’affirmer ?

Un seul exemple instruira d’autre part sur le destin qui attend les manifestations des corps élus, lorsqu’ils expriment en toute liberté les avis que la loi même requiert d’eux, et lorsque ces avis peuvent paraître menacer en quelque point « le droit et la force » de la majorité gouvernementale. Au cours de l’année précédente, 1 871 conseils municipaux ont été, suivant les termes de la loi du 1er juillet 1901, appelés à délibérer sur l’opportunité ou la non-opportunité du maintien des établissemens congréganistes situés sur le territoire de leur commune : 1 147 soit 61,5 pour 100 ont émis des avis favorables, 545 des avis défavorables, 179 n’ont pas répondu. On sait quelle fut l’issue de ce référendum et la réponse pleine de pitié dédaigneuse faite par le législateur aux 1 147 assemblées qui manifestaient ainsi pertinemment n’avoir aucune intelligence des « intérêts généraux » du pays.

La gestion de ces « intérêts généraux » est-elle confiée à des mains prudentes ? Les intérêts sociaux sont-ils garantis par « la politique d’agitation dont vit le gouvernement ? » C’est par l’appel à la curée, par le réveil des instincts les plus misérables de l’âme humaine que cette politique a été inaugurée, lorsque le précédent ministère a fait miroiter aux yeux de la nation l’appât du