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Pointe du Sérail, et, depuis, par son énergique réprobation des clauses de San Stefano, qu’elle n’eût pu, sans avoir l’air de se défier de sa force, réclamer la première le concours de l’Europe. Mais les ouvertures de l’Autriche, en la dispensant de cette démarche, venaient au-devant de son désir d’une solution pacifique. Elle ne doutait pas d’ailleurs qu’au prix de quelques modifications, elle n’obtint l’assentiment de tous les Cabinets aux principales mesures restrictives qu’elle entendait imposer. Elle arriverait ainsi à son but ; sans courir aucun risque, et, quant aux concessions éventuelles qu’elle serait amenée à consentir, elle avait eu soin, avec son art accoutumé, de les compenser à l’avance, en s’assurant une acquisition importante en dehors de la juridiction du Congrès : elle avait déterminé la Porte à lui céder, par une convention isolée, l’administration de l’île de Chypre. Cette affaire avait été conclue avant l’ouverture de nos séances, et si mystérieusement qu’il n’en fut jamais question dans l’assemblée, et que, notamment, nos plénipotentiaires français ne l’apprirent qu’avec le plus grand étonnement pendant leur séjour à Berlin, par la confidence calculée que m’en fit alors un des familiers de lord Beaconsfield. Je me souviens même que, lorsque je leur transmis l’avis officieux qui m’avait été donné sous forme de conversation indifférente, M. Waddington s’écria d’abord que « c’était impossible ; » et je dois bien dire que cette façon détournée de nous faire connaître un acte aussi grave n’était pas très correcte. Une communication plus précise nous fut adressée ensuite ; mais, comme il s’agissait là d’un arrangement conclu librement entre deux Puissances et qui ne figurait pas au programme des questions soumises à l’examen collectif des autres, les gouvernemens jugèrent irrégulier, et, en tout cas, inopportun de le relever. La Russie même demeura muette, soit qu’elle aussi l’eût ignoré, soit qu’elle ait espéré obtenir, en s’abstenant discrètement, quelques sérieux avantages : quant aux autres Cours, elles voulaient avant tout éviter un incident. L’Angleterre se trouva donc ainsi nantie d’un gage précieux, d’un territoire voisin de l’Egypte et de la route de l’Inde, et dont l’annexion déguisée était même implicitement sanctionnée par le silence d’une assemblée souveraine.

La France, il faut le reconnaître, n’accédait pas au Congrès avec la même liberté d’esprit. Sa position était délicate et pénible. En 1856, à Paris, elle avait occupé le premier rang qui, en 1878,