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resserré, et que, si les Puissances s’entendaient bien pour constater leur souveraineté, pour régulariser un peu la façade de l’édifice, en un mot, pour procéder à une manifestation d’ordre général, elles étaient extrêmement éloignées de toute entreprise de nature à compromettre l’harmonie précaire qu’elles jugeaient bon de déclarer, mais non pas d’approfondir.

Et d’ailleurs, si aucune illusion n’était possible sur ce point, il faut ajouter aussi que, non seulement l’état des choses, mais l’état des idées morales leur imposait la prudence. Après tant d’incidens qui avaient troublé l’ancien équilibre et laissé beaucoup de confusion dans tous les esprits, la diplomatie, eut-elle été plus indépendante des conditions matérielles et des positions acquises, demeurait dépourvue de principes et de convictions. Oscillant entre l’absolutisme des chancelleries et les théories modernes des nationalités, des religions et des races, elle n’osait suivre franchement aucun de ces systèmes, et, dans le doute, depuis longtemps déjà, appliquait tantôt l’un, tantôt l’autre, avec une timidité visible. Son incertitude et son scepticisme lui interdisaient toute vaste tentative, et elle avait trop de sagesse et d’expérience pour se risquer sans boussole, c’est-à-dire sans législation précise, au milieu de questions orageuses. Elle n’avait donc qu’à se renfermer dans l’étude du conflit oriental, déjà si considérable par lui-même, en laissant à l’avenir le soin de tirer de son œuvre mesurée et provisoire les conséquences qu’elle-même se sentait impuissante à dégager. On peut dire que cette solution se confondait si bien avec l’idée même de la réunion européenne, que les Cabinets eurent à peine besoin de se prémunir alors contre des interprétations plus étendues de leur mission, non plus que contre une déviation de leurs débats. C’est ainsi que ce Congrès qui devait, quand même, devenir plus tard le centre de la politique générale, s’ouvrit sur un plan spécial et qui l’isolait de l’avenir. Tant il est vrai que souvent la portée d’un fait dépend moins de ce qu’il est, que de ce qui le précède et le suit, et que sa forme officielle n’est pas la mesure de ses destinées.

Quoi qu’il en soit, si les diverses Cours se plaisaient à laisser dans la pénombre tout un monde de circonstances antérieures et irréductibles, dont la force mystérieuse avait amené l’Europe à Berlin ; si elles affectaient de ne voir que la question présente, sans s’occuper des résultats lointains de l’œuvre qu’elles allaient