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faire, du moins avaient-elles préparé avec beaucoup d’art et de prévoyance les élémens de transaction sur lesquels devait se concentrer leur effort. Non seulement, elles étaient convenues de s’entretenir exclusivement de la guerre turco-russe, mais encore, avant même que la lutte ne fût terminée, et dès que la victoire définitive des armées du Tsar devint presque certaine, l’Angleterre et la Russie, sous l’œil bienveillant de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, avaient, en réservant les détails, ainsi que je l’ai dit plus haut, à peu près déterminé leurs prétentions réciproques dans une série d’échanges d’idées, assez vagues d’abord puis successivement accentuées. Le prince Gortchakof dans une dépêche solennelle, et, après lui, le comte Schouvalof dans ses pourparlers avec lord Derby, à la fin de 1877, s’étaient déclarés résolus à mener à bien leur entreprise, et avaient posé en principe la nécessité absolue de mettre un terme « à la situation déplorable des chrétiens soumis à la domination ottomane ; » puis, un peu plus tard, précisant mieux les intentions de leur souverain, lorsque le succès fut plus assuré, ils avaient fixé trois points essentiels : la création d’une Principauté bulgare autonome ; l’agrandissement de la Serbie et du Monténégro ; enfin une modification administrative en Bosnie-Herzégovine. D’autre part, le Foreign Office avait maintenu énergiquement le dogme de l’intégrité de l’Empire ottoman ; mais, en présence des clauses de San Stefano, il avait admis, en thèse générale, une Principauté de Bulgarie, sans s’expliquer, il est vrai, sur son étendue, et divers autres changemens à intervenir, notamment en Bosnie-Herzégovine. Sur ce dernier point, et quels que fussent ses accords avec Berlin et Vienne, la solution restait ostensiblement subordonnée aux débats futurs. En même temps d’ailleurs, comme on sait, il suivait secrètement avec la Porte la négociation de Chypre. La France avait, de son côté, réclamé et obtenu de toutes les Cours le maintien de ses droits séculaires dans le Levant. L’Autriche savait qu’elle aurait sa part sur le terrain slave. Enfin, pour prévenir toute équivoque, le prince de Bismarck, dans son célèbre discours du 27 février 1878 au Reichstag, avait tracé à grands traits la ligne de conduite qui serait suivie : lui-même, affectant une modestie qui ne lui coûtait guère, et qui, de plus, dégageait sa responsabilité sans nuire à aucun de ses projets, serait, disait-il, « non pas un arbitre, ni un magister, » mais « un honnête courtier » entre les parties intéressées ; et