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Nous ne connaissions pas encore ce Ronsard. Il n’était jusqu’ici qu’un artiste et un amoureux, et a bien des égards un « virtuose. » C’est vraiment le poète, et le grand poète, qui commence à se montrer dans les Hymnes ! Il pense, et il fait penser. Dans la forme souvent inspirée de son vers, mais quelquefois un peu vide, voici maintenant des idées qui s’insinuent et qui la remplissent. Il n’avait guère traité jusqu’alors que deux thèmes : « la Gloire » et « l’ Amour, » « l’ Amour » et « la Gloire ; » ajoutons-y, si l’on veut, « la Nature, » — quoique d’ailleurs elle tienne infiniment moins de place dans son œuvre qu’on ne la bien voulu dire ; — et, sans doute, ce sont trois thèmes inépuisables en variations, mais il y en a cependant d’autres, et, l’un après l’autre, il va les découvrir. Vienne maintenant l’occasion propice, et, sortant de l’isolement où il s’était comme enfermé jusqu’alors, le poète se jettera tout entier dans l’action. C’est cette occasion que lui apportent les troubles civils, et c’est ce qui fait, non seulement dans l’œuvre de Ronsard lui-même, mais dans l’histoire de la poésie française, l’intérêt capital des Discours des Misères de ce temps.


II

En fait et à la rigueur, les Discours des Misères de ce temps se réduisent à deux pièces, qui sont intitulées, la première : Discours, et la seconde : Continuation du Discours des Misères de ce temps, toutes les deux datées de 1562-1563, et dédiées à la reine régente, Catherine de Médicis. Mais, conformément à l’exemple donné par le poète, — dans ses éditions de 1567, in-8o, de 1578, in-16, et de 1584, in-folio, — on réunit, sous ce titre général, une dizaine de pièces, formant ensemble deux ou trois mille vers, et, ainsi, matériellement, une, partie déjà considérable de l’œuvre de Ronsard. Elle n’en est pas aussi l’une des moins significatives, comme contenant l’expression de ses sentimens religieux et politiques. Car, pourquoi ce poète, cet épicurien, lassé très jeune de tant de choses, s’est-il, à une heure décisive, rangé si délibérément du côté des adversaires de la Réforme ? Et comment se pourrait-il qu’il fût descendu de sa tour d’ivoire sur la place publique, sans que la nature de son talent, et vraisemblablement les destinées de la poésie française, en eussent été modifiées ? Ce sont les deux questions, ou deux des