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questions que nous proposent, et auxquelles répondent les Discours des Misères de ce temps.

Ne mettons pas en doute qu’il ait vu, dans le calvinisme, comme tant d’autres, et en particulier comme Rabelais, quoique son ennemi, non seulement une tyrannie nouvelle, — dont il n’y avait aucune raison de subir la loi plutôt que de l’ancienne, à laquelle on était fait et plié, — mais encore, et surtout, une affectation d’austérité qu’il avait le droit de considérer comme funeste, ou mortelle même, à la liberté de son art. Le mouvement de la Réforme, et notamment celui de la Réforme française, quoi qu’il en soit advenu par la suite, n’a pas du tout opéré d’abord dans le sens du « progrès, » de l’affranchissement ou de la libération, mais de la « rétrogradation, » si l’on peut ainsi dire, comme n’étant qu’un retour au pharisaïsme de l’Ancien Testament ; et ses premiers apôtres, « les démoniacles calvins de Genève, » — c’est Rabelais, on s’en souvient, qui les nomme de ce nom, — ont commencé par être, littéralement, d’affreux iconoclastes. C’est là ce qu’un poète et un artiste, disons, si l’on le veut, c’est ce qu’un « voluptueux » tel qu’était Ronsard ne pouvait pas ne pas vivement sentir : le cours du mouvement de la Renaissance interrompu, barré par l’intervention de la Réforme, et les « arts de la paix » empêchés par les troubles civils…


Quand verrons-nous par tout Fontainebleau,
De chambre en chambre aller les mascarades
Quand ouïrons-nous au matin les aubades,
De divers luths mariés à la voix ?
Quand verrons-nous sur le haut d’une scène
Quelque Janin, ayant la joue pleine
Ou de farine, ou d’encre, et qui dira
Quelque bon mot qui nous réjouira ?
Quand verrons-nous une autre Polynesse
Tromper Dalinde…


De semblables regrets, qu’il exprime naïvement, au lendemain de la première guerre civile, en 1564, n’ont sans doute jamais hanté les âmes fortes et dures de Calvin et de Théodore de Bèze ; et, au contraire, pour ces divertissemens païens où s’égayait le génie de Ronsard, qui lui étaient comme une excitation quotidienne à réaliser ses mythologies dans sa vie, ou sa vie