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Dieu que pour donner à la légitimité des rois une suprême marque d’hommage.


IX

A l’époque même où Goerres, tout monarchiste qu’il fût, pouvait être soupçonné d’ébranler les trônes, un robuste théoricien, originaire de la Suisse allemande, se croyait prédestiné par Dieu pour les asseoir à jamais ; il s’appelait Charles-Louis de Haller ; et de même que Goerres avait commencé de servir l’Eglise avant d’être revenu lui-même à la pratique religieuse, de même Haller, né protestant, servait l’Eglise avant de s’être avoué catholique.

Le « discours préliminaire » de la Restauration de la science politique, écrit en 1816, définit avec ampleur quelle est, dans la pensée de Haller, la portée de son travail. « Les rois légitimes sont replacés sur le trône ; nous allons y replacer la science légitime. » En face de la Révolution, Halier dresse la science ; en face des théories du contrat social et de l’état de nature, il dresse l’étude inductive des faits. Cette étude, telle qu’il l’avait commencée, tout jeune, dans la ville de Berne, sa propre patrie, telle qu’il l’avait poursuivie, entre 1801 et 1806, à l’Université de Vienne, telle qu’il l’avait esquissée, dès 1808, en son Abrégé de la politique universelle, prenait comme point de départ l’hypothèse d’un « homme indépendant, » et envisageait les diverses façons dont cet homme indépendant pouvait devenir un souverain. La propriété, la valeur, la science : tels sont les trois titres au nom desquels cet être hypothétique peut arriver à une souveraineté : le chef de famille est souverain de ses serviteurs ; le capitaine, de ses compagnons d’armes ; le docteur, de ses fidèles : voilà trois supériorités qui résultent de la force des choses ; les souverainetés qui les sanctionnent, les principautés qui en résultent, « naissent donc, aussi, de la force même des choses, sans volonté positive, sans convention factice des hommes. » Un souverain, c’est un grand propriétaire opulent et puissant ; mais tout chef de famille est dans sa sphère un souverain ; et il n’y a pas de différence d’essence entre la souveraineté du père et celle du roi. Comme le père existe avant la famille, le roi existe avant le peuple ; toutes les monarchies ou principautés se forment de haut en bas. Bref, chaque individu