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vérité, c’est un des vices les plus caractéristiques de la langue ou du style de Ronsard, que, quand il se guinde, il ne devient pas seulement, comme un autre, emphatique, mais vulgaire. Il n’a pas le sentiment du ridicule, et la recherche du mot fort le conduit à des effets comiques. S’il veut dire que Mnémosyne mit au monde les neuf Muses ensemble, il dira qu’elle les engendra d’une « seule ventrée ; » et au lieu de dire de Jupiter ou de Neptune qu’ils « bouillonnent de colère, » il nous les montrera « bouffans d’ire. » Croyons encore que Ronsard veut faire original et sublime, quand au lieu de se servir de la locution déjà consacrée de « dévorer l’espace ou le temps, » il écrira : les manger, et, au lieu de « célébrer solennellement une victoire : » la pomper. Mais, encore une fois, des expressions plus naturelles et plus simples n’eussent pas plus fait ici qu’un vers mieux approprié à l’allure du récit épique ; et les causes de la médiocrité de la Franciade sont situées plus profondément. La Franciade, — ne craignons pas d’user de ces termes un peu pédantesques, puisqu’il s’agit de tout un système d’art et de littérature, — la Franciade n’est pas seulement ni principalement l’erreur d’un homme, elle est celle de toute une école ; elle est une erreur de méthode ou de direction ; et les suites en allaient lourdement peser sur les destinées de tout le « classicisme. »

Car, tandis qu’il s’acharnait à ce labeur ingrat, les Élégies, les Poèmes de Ronsard, son Bocage royal, ses Sonnets pour Hélène nous sont témoins qu’il n’avait rien perdu de son génie. Jeune encore, — il n’avait pas cinquante ans, en 1574, — mais vieilli et usé avant l’âge, par les plaisirs, dit-on, autant que par les épreuves, la mort de son roi, Charles IX, avait été la ruine de ses ambitions. Courtisan d’ailleurs empressé, il n’avait rien omis de ce qu’il fallait faire pour se recommander à la faveur du nouveau maître.


Si l’honneur de porter deux sceptres en la main,


lui écrivait-il dès 1575,


Commander aux Français et au peuple Germain
Qui de l’Ourse Sarmate habite la contrée ;
Si des Vénitiens la magnifique entrée,
Si avoir tout le front ombragé de lauriers,
Si avoir pratiqué tant de peuples guerriers,
Tant d’hommes, tant de mœurs, tant de façons étranges,
Si revenir chargé de gloire et de louanges,