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Si plus, nos vieux corbeaux gourmandent vos finances ;
Si plus, on se détruit d’habits et de dépenses ;
Et si quelque affamé nouvellement venu,
Veut manger en un jour tout votre revenu,
Qu’il craigne ma fureur…
[Le Bocage royal. Édition de 1587, t. IV, p. 26.]


Et nous, à cette « fureur » nous aurions aimé qu’il se fût abandonné. Il avait l’esprit ; il avait l’éloquence ; et, s’il l’eût seulement voulu, ses Satires vaudraient ses Discours des Misères de ce temps. Mais il eut beau faire ! il ne retrouva pas auprès d’Henri III la faveur toute personnelle qu’en d’autres temps lui avaient témoignée Marie Stuart ou Charles IX. Il continua bien d’être l’un des pensionnaires du prince, à raison de douze cents livres par an, qui feraient un peu plus de six mille francs de notre monnaie. Mais la pension n’était pas toujours très régulièrement payée ; et Henri III lui préférait Desportes. Le nouveau roi, d’ailleurs, avait moins de goût pour la poésie que pour l’éloquence, et même la grammaire. Ronsard, alors, de dépit, s’isola de la Cour, séjourna plus souvent en son Vendômois qu’à Paris, revit ses Œuvres, les remania. Son ancienne fougue s’apaisa. Sa pensée se fit plus sereine, en même temps qu’elle se nuançait d’un caractère de mélancolie plus intime, plus profond, plus philosophique. C’est un peu de ce caractère qu’il nous reste à essayer de ressaisir dans ses dernières poésies.

Mais quelles sont ces dernières Poésies ? et, déjà, n’aurions-nous pas nous-même quelque peu altéré l’ordre de leur succession ? C’est une tentation naturelle, que de vouloir clore la biographie de ce grand amoureux par une dernière histoire d’amour, et les Deux Livres de Sonnets pour Hélène semblent vraiment nous y convier. Car il est certain qu’ils ont paru pour la première fois en 1578 ; et il ne l’est pas moins que, de 1578 à 1584, Ronsard n’a rien ou presque rien publié. Au contraire, les vers que nous venons de citer ont paru pour la première fois en 1575, et nous n’avons donc pas violé la chronologie. Mais, d’un autre côté, les Sonnets pour Hélène ne seraient-ils pas antérieurs à leur date de publication, et pouvons-nous ne pas tenir compte du témoignage du poète ?


Je chantais ces sonnets amoureux d’une Hélène
Dans ce funeste mois que mon Prince mourut.