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pour elle, de ne pas la rendre au mari qui venait la réclamer. — Ah ! lui disait-elle,


Ah ! ce n’est pas la foi ni la dextre fidèle
Mise en la mienne, hélas ! quand tremblante et rebelle
J’embrassais les autels de Cérès, appelant
Les Dieux à mon secours contre toi me volant.
A la fin, ajoutant la prière à l’audace,
Par force et par amour je t’accordai ma grâce,
Pourvu que tu serais d’une invincible foi
Toujours mon défenseur, sans te fâcher de moi…


Mais, insensible à ces supplications, et moins touché de ces souvenirs que honteux, pour Glythymie, — c’est le nom de la femme, — de cet outrage à la foi conjugale, Brennus a résolu de l’en punir. Et voilà pourquoi, dit-il au Milésien :


J’ai feint ce sacrifice, et feint de te conduire
Pour immoler ta femme, et aussi pour te dire,
Que vous êtes déçus de blâmer les Gaulois
Vous autres Asiens…
Dessous la loi écrite enseignés, vous vivez
Et doctes en papier le papier poursuivez.
Nous autres, nous n’avons que la Loi naturelle,
Écrite dans nos cœurs par une encre éternelle,
Que nous suivons toujours sans besoin d’autre écrit
Comme portant nos lois en notre propre esprit.


Fais maintenant ce que tu voudras, de ce « corps sans tête. » Enterre, si tu veux, ou laisse aux chiens ta femme. Voici la rançon que tu m’avais comptée ; je te la rends ; dis-en l’histoire aux tiens ; et


… va chercher ta demeure ;
Adieu, donne ta main, va-t’en à la bonne heure.


C’est dommage qu’au lieu de se terminer sur ce vers, la pièce soit allongée d’un compliment à Henri III. Elle n’en est pas moins une des plus belles de Ronsard, et — quoi que d’ailleurs on puisse penser de l’ « équité des vieux Gaulois » qui ressemble beaucoup à de la sanguinaire barbarie, — le grand poète a été rarement mieux inspiré qu’en ce fragment d’allure vraiment épique. S’il est lui-même, en ses Amours et en ses Odelettes, il