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épouvantes que le reste de la France ne connut pas. La populace avait pour idole sa propre image, Chalier, d’abord chrétien jusqu’à aspirer au sacerdoce, puis devenu assez impie pour ne plus chercher hors de lui-même le Christ d’un évangile tout terrestre. En ce renégat encore mystique les extases s’élevaient à la béatitude des égorgemens et, chef de la municipalité, il voulait commencer, au profit des pauvres, par l’assassinat des riches, la communauté des biens. Les riches, c’est-à-dire cette bourgeoisie ruinée par la guerre et la proscription du luxe « incivique, » pensèrent que se défendre, c’était défendre, avec les traditions de leur habileté industrielle, l’existence même du pauvre. Ces sages eurent la rare sagesse du courage. Ils osèrent combattre à main armée, emporter l’Hôtel de Ville, saisir Chalier, et faire subir à ce protégé de la Convention le sort dont il les menaçait ; ils osèrent continuer la guerre contre la Convention elle-même. La Normandie et sa révolte finie aussitôt que tentée, la Bretagne et la Vendée aux prises d’armes chroniques, Marseille qui après avoir arboré le drapeau blanc ne tenta pas de le défendre, Toulon qui pour résister, se livra aux Anglais, avaient avec elles des alliés, autour d’elles la plaine et le bocage, où les combattans dispersés pouvaient se changer en agriculteurs paisibles, derrière elles la mer qui offrait aux vaincus une fuite sûre. Les Lyonnais étaient seuls, toute fuite fermée par leurs murailles devenues leur prison : pour eux, être vaincus était périr. Ils calculèrent tout cela et commencèrent la lutte. Et cet héroïsme trouva pour le punir l’énergie égale et toute atroce de la bourgeoisie révolutionnaire qui à Lyon faisait des vœux pour Paris. Quand Fouché, déclarant la guillotine trop lente, mitrailla ses prisonniers sur la place Bellecour, il était encouragé par une fureur ambiante, colle des Jacobins lyonnais qui, pour devenir les maîtres, sacrifièrent de leur ville les citoyens, les remparts, les monumens et le nom.

L’ordre, morne sous Bonaparte, ne reparut qu’affaibli par une double contradiction. Le pouvoir, tout en revenant à la perpétuité monarchique, acceptait d’être jugé par l’opinion de la France, et ce qu’on nommait la France, était sous l’Empire le groupe servile de ceux que l’Empereur désignait lui-même ; sous la Restauration et la monarchie de Juillet, l’oligarchie des grands propriétaires. La presque-totalité des Français n’avait pas la parole sur la politique de la France. Sans moyen régulier