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d’influer sur les affaires nationales, ils se trouvaient mis par une minorité hors du pacte social. S’ils ne comptaient pas pour elle, pourquoi compterait-elle pour eux ? Ce vice du suffrage dans un pays logique rendit national le mépris de la légalité, et ce goût de rébellion devait devenir le plus tentateur où les esprits étaient le plus capables de méditer sur les inconséquences du régime. Le foyer le plus puissant des ardeurs révolutionnaires fut Lyon. A des hommes calculateurs et non hasardeux il ne pouvait échapper que, pour réussir il leur fallait être toujours entretenus dans la familiarité de leur dessein commun et prêts à saisir les occasions fugitives, c’est-à-dire formés en groupes permanens. Le droit d’association n’existait pour personne, surtout pour les ennemis de l’Etat : mais ceux qui veulent renverser ont peu de scrupule à désobéir. Lyon emprunta à l’Italie, mère des conspirations, l’arme qui de là se répandit en France : ce fut l’ère des sociétés secrètes. Lorsque l’avènement de Louis-Philippe eut affaibli le principe d’autorité, de ces sociétés secrètes sortirent les émeutes, chroniques durant les premières années du règne. Lyon, par les révoltes de 1831 et de 1834, donna au XIXe siècle le signal des luttes sociales. Tandis que Paris, non moins tumultueux, se battait par caprice politique, lassitude du calme, goût de l’aventure, plaisir de fronde populaire, à Lyon se poursuivait la guerre servile, triste comme le drapeau noir que les combattans avaient choisi, cruelle comme la faim dont ils étaient l’armée.

La révolution de 1848, en décrétant la République et le suffrage universel, avait été la victoire commune des bourgeois révolutionnaires et des ouvriers. Ils la poursuivirent aussitôt les uns contre les autres, et le prolétariat de Paris tenta aux journées de Juin la guerre sociale commencée en 1831 par le prolétariat de Lyon. Contre le second Empire, né de ces luttes, Lyon prit à son tour exemple sur Paris ; les ouvriers, faisant défection au souverain qui les favorisait, renouèrent alliance avec les bourgeois révolutionnaires. Mais cette vieille guerre eut sa nouveauté : le recrutement de conspirateurs pour l’émeute cessa d’être le moyen principal de combat. La force matérielle d’un gouvernement résolu et armé fut la cause la plus évidente de l’abandon où tombèrent soudain les moyens violens, ce n’était pas la seule. Élu de l’opinion générale, conservateur du suffrage universel, l’Empereur imposait à ses adversaires par une force morale. Contre un régime qui s’associait l’opinion publique et