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semblait faire un avec elle, compter sur les bandes occultes d’affidés ce n’était pas même le menacer, c’était le fuir dans l’ombre avec quelques ombres, se réduire à l’impuissance et à l’odieux d’une oligarchie secrète, laissant intact à l’Empire son prestige d’institution faite par tous et pour tous. Avant d’espérer le moindre avantage contre lui, il fallait l’ébranler dans l’opinion où il avait sa large assise ; pour changer l’opinion, entreprendre la guerre publique des idées ; sinon convaincre la majorité, du moins se concilier une partie du peuple ; disputer au souverain, fût-ce par une apparence, cette légitimité démocratique où il puisait sa véritable force. Le suffrage universel, malgré ses vices, eut ce résultat qu’il amoindrit, même chez les hommes de révolution, la violence, et les contraignit aux procédés de propagande légale. Or toute entreprise de former la pensée publique oblige ceux qui veulent convaincre à révéler, si imposteurs soient-ils, quelque chose de leur propre pensée. Cette condition nouvelle de la lutte acheva de mettre au jour les influences qui, primitives comme la race, ou successives comme l’histoire, avaient formé la nature multiple et préparé la force moderne du peuple lyonnais.


II

La bourgeoisie révolutionnaire y continua son œuvre traditionnelle. A ses chefs la lutte religieuse semblait toujours la grande œuvre de la politique. C’est l’Eglise qui offensait leur intelligence, en courbant sous les dogmes de sa hiérarchie cette raison dont ils se croyaient eux-mêmes les pontifes et pour laquelle ils voulaient une souveraineté sans rivale ; c’est l’Eglise qui menaçait leur ambition, car elle formait des sociétés éloignées de la révolte et de la servitude, et eux voulaient marcher par la rébellion à la toute-puissance ; c’est l’Eglise qui déconcertait leur habileté, car il n’était pas un moyen d’influence tenu par eux pour efficace qui ne fût déjà employé par elle contre eux. En revanche, toutes les attaques contre elle trouvaient une complicité instinctive dans tous les vices condamnés par sa morale, et si cette lutte portait au pouvoir ceux qui l’auraient dirigée, la vaste ruine de l’Eglise encombrerait assez de temps la place publique pour épargner à leur intelligence et à leurs intérêts l’embarras d’autres destructions.