Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/822

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

détruire, avait souffert de l’administration autocratique étendue sur toute la Russie et, dans l’emportement de sa colère, opposait à l’excès d’autorité l’anarchie. Mais son anarchie, dans laquelle il prétendait dissoudre les centres factices d’autorité, ne détruisait pas tous rapports de droits entre les hommes, elle s’était arrêtée devant la commune russe ; dans ce groupe naturel il reconnaissait une société complète, la déclarait souveraine. Le Slave, par l’outrance, l’imprévu, la rigueur de sa logique, se fit de ces jeunes Français des disciples. Eux, à leur tour, accommodèrent ces idées étrangères à la clarté de l’ordonnance française, et combinèrent un régime où à l’unité ils opposaient la fédération, et à l’Etat la Commune. La fortune du système fut auprès des ouvriers lyonnais soudaine et générale. Ils crurent reconnaître dans cette nouveauté la formule de la réforme qu’ils cherchaient. Cette souveraineté communale leur reconnaissait leur part immédiate du pouvoir. Car ils n’étaient pas comme les Jacobins une oligarchie partout en minorité, mais, en certaines régions industrieuses et dans de grandes villes, une part notable, parfois prépondérante de la population. Ces places de travail deviendraient pour eux des places d’indépendance, malgré les majorités conservatrices encore maîtresses de la France. Ils ne trouveraient pas dans l’administration relativement simple d’une commune, les difficultés qui les rendaient incapables de conduire l’État ; il leur serait facile de tenter l’application de leurs doctrines sur ces champs restreints et avec une diversité d’expériences qui rendraient les erreurs moins redoutables et plus rapides les progrès. La souveraineté des communes abolirait le caractère trop national des gouvernemens unitaires, permettrait à chacune de s’entendre avec ses voisines, et d’étendre de proche en proche, par-dessus les bornes historiques des races, la fédération universelle des travailleurs. En attendant que la fécondât l’avenir des gouvernemens légaux, elle renouvelait dès maintenant le principe révolutionnaire : elle donnait à toute commune le droit de rompre avec l’Etat ; elle déniait à la capitale le droit d’imposer, pour s’être délivrée, la servitude aux autres cités, surtout à celles qui, par un soulèvement aussi prompt et aussi efficace, auraient trouvé dans leur victoire leur titre à se gouvernera leur guise. Le Lyon prolétaire qui, sur 400 000 habitans, comptait 150 000 ouvriers unis contre 250 000 bourgeois divisés, acclama une doctrine qui lui assurait l’hégémonie