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libeller la dépêche, car ce gouvernement d’illettrés acceptait volontiers les hommes instruits pour greffiers, la rédigea d’après ses habitudes d’esprit et, puisque Paris avait fait la révolution, finit par ces mots : « Le Comité attend les ordres du gouvernement de Paris. » La violente protestation qui s’éleva dans toute l’assemblée prouva que la pensée la plus étrangère à ces hommes était d’obéir. Il fallut effacer le mot « ordres » et écrire : « Le Comité attend les communications de Paris. »

La première de ces communications, reçue le 5 septembre à midi, portait : « Challemel-Lacour, nommé préfet du Rhône, arrivera demain à Lyon. » La dépêche fut remise à trois membres du Comité. Paris, en choisissant le fonctionnaire le plus important de Lyon, ne donnait-il pas un de ces « ordres » que le Comité ne pouvait accepter ? Ils le crurent et, pour plus de sûreté, détruisirent la dépêche, sans la communiquer même à leurs collègues. Comme si à Paris on eût eu le pressentiment des prétentions lyonnaises et le désir de les ménager, à six heures, parvint une nouvelle dépêche : « Challemel-Lacour, ferme républicain, part ce soir avec les pouvoirs nécessaires. » Le titre de préfet avait disparu et l’on pouvait comprendre que les pouvoirs seraient ceux d’un ambassadeur envoyé par la première à la seconde ville de France. Cette fois, la dépêche fut communiquée.

Le lendemain matin, à dix heures, Challemel était à Lyon. Bien que sa venue fût épiée, personne ne le reçut à la gare. Seul, il se rendit à l’Hôtel de Ville, eut peine à franchir la première porte, trouva la cour intérieure remplie d’hommes armés qui accueillirent d’un sourire menaçant l’énoncé de sa fonction. Leur chef s’empara de sa personne et le conduisit, non comme un chef, mais comme un prisonnier au Comité de salut public.

Challemel comparaissait en effet devant des juges. Assemblé dans la grande salle de l’édifice, le Comité attendait l’homme. L’interrogatoire commence aussitôt. Le président Chepié, un ouvrier tisseur, montre un siège à l’arrivant et lui demande ce qu’il vient faire à Lyon. « Remplacer les pouvoirs détruits avec l’Empire, » répond Challemel. Le président signifie que ces pouvoirs sont déjà remplacés par le Comité de salut public, que le Comité est, demeurera seul maître de Lyon, et ne veut pas de préfet. Tout au plus accepterait-il à demeure un délégué du gouvernement, à la condition que le rôle de ce délégué se bornât à transmettre à la Commune les désirs du pouvoir