Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/839

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les votes seraient rendus nuls par les difficultés d’exécution

Si donc les deux castes rivales s’étaient partagé les initiatives des destructions, toutes deux devenues complices se prêtaient main-forte pour l’accomplissement de leur tâche préférée. Et l’œuvre tout entière avait une humiliante unité. Après tant de déclamations en faveur de la liberté, en faveur de la justice, tant de sévérité répandue contre toutes les fautes du gouvernement, tant d’années passées à promettre, à annoncer les réformes, tant de résolution à prendre le pouvoir, la collaboration des révolutionnaires bourgeois et des ouvriers socialistes n’aboutissait qu’à une dictature, et laquelle ! Pas de doctrines, des haines ; pas d’institutions, des coups ; un gouvernement dégénéré en vengeance. Il ignorait ce respect de l’homme, qui est le commencement de la civilisation : il retournait à la barbarie par ses espérances mêmes. Et il semblait qu’une contagion d’abaissement fût la seule loi d’égalité dans ce régime, puisque les aptitudes et les volontés se dissolvaient sans résistance dans l’ineptie ambiante, puisque les plus intelligens s’enchaînaient avec les plus stupides. Chute lamentable pour les hommes, plus funeste pour les idées ! Car le droit de la commune à l’indépendance, le droit du prolétariat à un sort meilleur, introduits parmi d’autres droits où ils trouvent place en les respectant, sont légitimes, utiles, civilisateurs : revendiqués sans bornes et établis sur la ruine de tous les autres, ils ensevelissaient vive toute leur légitimité sous leurs excès et leurs erreurs.

Mais autant que mauvais, ce pouvoir était redoutable. Pour perpétuer cette expérience où la ruine de la ville serait complétée par la ruine de chacun, et où les prolétaires, quand ils auraient achevé de manger les riches, trouveraient le suprême châtiment, la faim sans travail, il avait amassé toutes les forces qui aident les gouvernemens réguliers à défendre contre les désordres la paix et la prospérité générales. Pour contenir une population sans troupes régulières et sans armes, il avait des soldats nombreux, sûrs, pourvus de bons fusils et de munitions, une police soupçonneuse et sans scrupules. Il pouvait d’autant plus compter sur ces défenseurs que sa durée leur assurait la vie bien repue et oisive, l’importance, et que, s’il disparaissait, ils retombaient eux-mêmes dans leur néant d’hier. Il avait, pour entretenir cette organisation et les dévouemens qu’elle lui assurait, la richesse de Lyon mise sous séquestre, et dont la dilapidation demanderait