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du temps, bien que les trésors s’épuisent vite, quand il faut avec l’épargne des bourgeois assurer l’oisiveté des prolétaires. Pour maintenir son indépendance contre l’Etat lui-même, c’est-à-dire contre quelques bénéficiaires d’une émeute parisienne, il avait l’enceinte fortifiée de Lyon, que nulle armée française n’investirait avant la fin de la guerre contre l’Allemagne. Enfin, il avait, pour soutenir toutes ses audaces, la puissance d’un idéal, le fanatisme qui lui laissait voir seulement la lueur de justice perdue dans les injustices de ses actes.


VIII

Tel était, au commencement de septembre, l’état de la France. Dans l’Est elle se battait. Au Nord et dans le Centre elle obéissait en silence par inertie, par timidité, par sentiment que c’était assez d’avoir renversé un régime sous les yeux de l’ennemi, par hâte de réunir tout l’effort dans l’œuvre la plus nécessaire et de délivrer le sol. Dans le Midi, elle semblait ardente à la fois pour la défense et pour la République. Mais la guerre y était comme lointaine, on se tenait sûr que l’invasion ne viendrait pas sommer sur place les courages, troubler les existences et les intérêts. On préparait les forces dues à la patrie, mais sans cette angoisse qui accompagne l’urgence des périls. Plus on descendait vers le Sud, plus le souci de la lutte devenait à la fois faible et bruyant : c’était dans les populations les moins belliqueuses que cette ardeur saisissait les groupes les moins disposés à se battre, et les plus passionnés. de politique. Le patriotisme y devenait l’argument le plus sonore à l’aide duquel les partis pussent se disputer le pouvoir. Dans cette région, la seule où cette envie du pouvoir semble une passion collective, elle n’atteint d’ordinaire, même dans les grandes villes, qu’une oligarchie avide, hardie et fertile en négociations avec le gouvernement, afin de s’assurer le plus qu’elle pourra des places vacantes. Toulouse est la capitale de cette agitation factice où des bourgeois adroits, bourgeois encore que démagogues, poussent leur fortune politique, où ils montrent de loin au gouvernement le lion populaire qu’ils contiennent et qu’ils font rugir à propos, mais où le lion débonnaire n’est un danger pour personne, pas même pour ceux qui l’exploitent, où l’action désordonnée et violente des multitudes sur les événemens ne s’exerce pas.