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la preuve qu’elles sont bonnes, c’est qu’elles sont favorables au gouvernement ; et la preuve qu’elles lui sont favorables, c’est que les préfets le jurent ; or, les préfets ont les lumières nécessaires pour discerner et classer les opinions de quelques centaines de milliers de conseillers municipaux dont la moitié, au moins, n’ont aucune opinion. Et ne dites pas que les élections ne sont pas libres : les cinq réactions coalisées contre le Cabinet ne le disent même plus, si ce n’est pour la forme et du bout des lèvres, par affectation « d’incrédulité rechignante. » Où prenez-vous, dans l’attitude des préfets, sous-préfets, inspecteurs primaires, instituteurs, percepteurs, receveurs, contrôleurs, juges de paix, agens voyers, fonctionnaires de tout ordre et de tout degré, « la pression administrative ? » Où « l’intimidation ? » Et « la corruption, » où la prenez-vous ? C’était bon sous l’Empire, et l’opposition la plus modérée avait alors mille motifs pour un de protester.

Mais les anciens étaient les anciens, et nous sommes les gens de maintenant ! Tout est changé, puisqu’ils sont changés, et que c’est nous qui les remplaçons, nous qui ne sommes pas l’Empire et qui sommes le « parti républicain. » Sans doute, nos préfets promettent toujours des routes, mais des routes « nationales, » et non plus impériales ; et ce ne sont plus les préfets de la tyrannie, mais les nôtres. Ils offrent toujours des croix, des places de percepteurs, toutes sortes d’autres places, mais c’est en notre nom et pour notre service. Le gouvernement ne fait ni pression ni intimidation… Comment l’agneau l’aurait-il fait ?… Seulement, il punit et il récompense citoyens et arrondissemens, selon qu’ils ont bien ou mal voté. Votent-ils bien ? Toute faveur. Mal ? Nulle justice. L’Ouest et le Nord-Ouest de la France, qui refusent de s’agréger au Bloc, sont en quarantaine. On laisse s’ensabler leurs ports, et ils n’auront de chemins de fer que ce qu’ils en avaient auparavant ou que ce qu’ils en paieront. Les subventions de l’Etat seront pour le Midi rouge qui bouge. De même pour les particuliers ; s’ils votent mal, ils seront épiés, dénoncés, poursuivis et atteints jusqu’à la quatrième génération, dans leurs pères et dans leurs fils ; pas de subsides, pas de secours, pas de dispenses ni de sursis militaires, pas de bourses, — et les économes de nos lycées savent pourtant si on les épargne ! — dans les collèges ou les écoles ! Pas de bureaux de tabac, pas de recettes buralistes, pas un kiosque à journaux, pas un maravédis de la monnaie