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est pas un, et que l’État, avec des secrétaires d’État de cette qualité, c’est l’Etat à l’envers. Le ministère de la Guerre et le ministère de la Marine sont, par destination et par définition, des usines à fabriquer, à entretenir, à augmenter la force nationale : mais qui plaiderait pour M. Polletan et pour M. le général André que, sous eux, ces deux ministères ont augmenté ou fabriqué de la force ? A peine, à grand’peine, — et encore n’est-ce pas sûr de tous les deux, — ont-ils entretenu ce qu’on leur en avait remis.

J’ignore jusqu’à quel point est fondée l’accusation dirigée contre M. le ministre de la Guerre de prêter à la délation dans l’armée une oreille trop complaisante ; de faire plus de cas des opinions d’un officier, de ses origines, de ses attaches, des sentimens connus ou supposés de sa famille, de la piété ou de l’indifférence religieuse de sa femme, que de son instruction et de sa valeur militaires ; de se conduire selon des préférences aussi injustifiables, aussi inexplicables que ses rancunes, ou ses inimitiés, ou ses antipathies, et d’aimer peu le métier, ou de l’aimer moins qu’il n’aime Platon, c’est-à-dire Auguste Comte. A ne parler que de ce dont tout le monde parle, il semble en effet que M. le général André aime beaucoup Auguste Comte et la sociologie ; ce n’est en soi ni un crime, ni même une faiblesse ; mais néanmoins c’est beaucoup les aimer que de passer au cours de M. Wyrouboff ou aux séances de l’Institut international des heures que le ministre de la Guerre, à l’unique point de vue du service, emploierait peut-être aussi utilement ou plus utilement dans son cabinet. Et c’est les aimer trop que de les mettre partout ; de prétendre, comme M. le général André l’a prétendu devant la Chambre stupéfaite, dans le cas du commandant Cuignet, d’après l’idée simple ou complexe qu’un de ses subordonnés se fait de la solution des questions sociales, juger de l’état mental de ce subordonné ; plus encore et infiniment trop, d’en faire un des objets fondamentaux de l’enseignement de nos grandes écoles, Polytechnique et Saint-Cyr. Non pas que l’École libre des sciences politiques ou le Collège libre des sciences sociales ne soient d’excellentes institutions, mais ce sont l’une l’Ecole des sciences politiques, l’autre le Collège des sciences sociales : ni Polytechnique ni Saint-Cyr ne doivent être ni l’une ni l’autre. Et la « solidarité » est une belle chose ; mais, jusqu’à M. le général André, la solidarité, dans l’armée, s’était appelée l’esprit de corps,