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hier qu’à Brest des ouvriers de l’arsenal, qui sont en même temps conseillers municipaux, votaient un blâme au préfet maritime et que leur syndicat venait sous ses fenêtres le conspuer en chœur ; hier aussi qu’à Cherbourg quarante hommes se dispensaient de rejoindre le bord, un jour d’appareillage ; avant-hier qu’à Lorient on voyait se mêler à une tourbe d’émeutiers des marins en uniforme. Pourquoi marins et ouvriers se gêneraient-ils ? Ne savent-ils pas que le ministre est à eux, pense des « gradés » ce qu’ils en pensent, en parle comme ils en parlent, qu’ils ont raison à ses yeux, même quand ils ont tort, qu’ils sont de son escorte et de sa coterie, que c’est un « copain, » un « vieux frère, » « leur vieux Camille, » lequel ne trouve jamais plus naturel et plus légitime d’être ministre de la Marine que lorsqu’ils le poussent et le traînent, encadré de drapeaux rouges, d’apéritifs d’honneur en banquets et de banquets en vins d’honneur, aux accens de la Carmagnole et de l’Internationale !

Il resterait, pour être complet, huit ministères à passer en revue ; mais, quoi qu’on puisse dire de l’Instruction publique et des doctrines de certains de nos instituteurs, de la Justice et des théories de certains de nos magistrats sur « le fait du prince » et sur l’inconvénient qu’il y a à ne pas s’incliner devant lui, des Affaires étrangères et de cette conception singulière de la politique qui aboutit à être l’ami de nos adversaires ou de nos compétiteurs autant que de nos amis ; et quoi qu’on puisse dire par surcroit des ministères secondaires, — Travaux publics, Commerce, Agriculture, et Colonies, — après M. Camille Pelletan, on peut tirer l’échelle : nulle part, et non pas seulement nulle part en France, mais nulle part au monde, — c’est une suprématie qui ne nous sera pas disputée, — on ne rencontrerait rien d’aussi fort. Mais cependant, même pour une politique « essentiellement agissante, » même pour une politique qui renonce à être « un système, » même pour une politique qui ne vise ni « à la finesse des aperçus » ni « à l’élégance des formules, » n’y a-t-il pas des « fonctions essentielles » de gouvernement, sans l’accomplissement desquelles il n’est pas de gouvernement ?

Oui, certes, il y en a ; il y en a au moins trois qui s’imposent à tout gouvernement et de toute forme, monarchique ou démocratique, aristocratique ou populaire : assurer la stabilité et la durée de l’existence nationale ; assurer la grandeur et le respect de la dignité du pays ; assurer, de la part de tous les citoyens,