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paraître dans les insondables profondeurs de la mer. C’est un grand spectacle, on ne saurait le nier ; et, comme l’autre ouvrage gigantesque de l’homme dans une autre zone, les Pyramides d’Égypte, ce monument n’offre pas seulement un grand intérêt ; il marque aussi une des étapes de la civilisation de la race humaine. Je regardai notre puissante machine tirant sa longue traîne de wagons américains et il me sembla alors embrasser du même regard le passé de l’Asie et son avenir.

À Hankou-tchang, une surprise m’attendait. Les troupes anglaises venaient d’achever leur mission. À cette occasion, le commandant donnait un dîner. Quelques convives, réunis au petit yamen, près de la station, dans la salle à manger tendue de perse claire, avec de jolies aquarelles, toute sorte de livres et de bibelots, et surtout la table couverte d’une nappe immaculée et d’une vaisselle toute simple mais éclatante de propreté, retrouvaient pour un instant le confort et le charme d’un home anglais.

Une autre étape intéressante de mon voyage fut de là à Tien-tsin, à travers un des plus riches districts de la Chine. Notre train s’arrêtait souvent, car il y a beaucoup de villes importantes. Le commerce est très actif. Par places, la terre est cultivée comme un jardin potager ; mais la vraie richesse du district consiste dans les mines de charbon où de gros capitaux étrangers sont engagés. Les deux principales curiosités de la route pour les voyageurs sont la maison de campagne de Li-Hung-Chang et Fort-Takou.

Le feu vice-roi, grand politique, était encore plus adroit financier. Son amour des entreprises commerciales et de la spéculation était bien connu par tout le pays. Les mines de charbon du voisinage lui appartenaient en partie. Il ne s’occupait pas seulement de ses propres affaires, mais encore était fort soucieux de connaître à fond les moyens de quiconque traitait avec lui. Chaque fois qu’il recevait un diplomate étranger ou que le directeur d’une compagnie internationale ; ou même d’une simple maison de commerce, obtenait une entrevue pour s’assurer des concessions ou privilèges, la première question du vice-roi était invariablement : « Combien gagnez-vous ? » Le succès de la requête dépendait pour beaucoup de la somme versée dans le coffre-fort de l’homme d’État, m’a-t-on dit.

Fort-Takou ne comporte pas une longue description. Il a